samedi 20 novembre 2010

adapting for distortion, 2.repulsion and haptic

Une scène, un homme, du blanc. Au loin, un sifflement.Vous savez, celui du minitel laissé allumé, à moins que ce ne soit la télé? Puis parasitage, des interférences mal contrôlées, ondes amplifiées: tout se brouille. Comme si, les présupposés aux dommages corporels pas tout à fait avérés, se trouvaient, là, exagérément symptomatisés, sur l'homme, son corps. Au point de faire de ce corps un jouet, un robot téléguidé. Et le corps se tord, se distord, s'atrophie. Traversé par des influx électriques vénales, il bouillonne, d'ondes, de champs, partout. Il va exploser, s'effacer que dis-je, se télé-exporter. Et plus rien ne sera.

Une scène, trois hommes, du blanc. Une musique électro-magnétique, pointue, elle sautille. Les corps sont élastiques. Non, ils n'ont plus de maître; comme possédé, ils se perdent. Saccagés, désarticulés, un dédale de mouvements saccadés: une réponse inter et intra corporelle à ce stimuli électronumérique ondulant aléatoirement. Ensembles, ils divaguent, font des vagues, pauvres épaves. Mais, sitôt repris le bruit, leur danse stochastique s'intensifie: ils ne peuvent sortir de cette aliénation.

Une scène, un homme, de la couleur. Du bleu, du rouge, du jaune. La musique est lunatique, aux humeurs kaléidoscopique: pauvre corps qui se laisse surprendre! Encore, ici, il n'a pas d'âme, simple artefact. Une enveloppe tactile. La couleur est maîtresse, elle dompte, tire les ficelles de sa marionnette de ses pouvoirs stéréoscopiques. Puis les ténèbres, tout est fini, parti.

Génie. Génie du corps, génie du son et de la lumière. Du vide dans des pleins, de l'abstraction dans le visuelle: la réalité augmentée de Hiroaki Umeda.

mercredi 27 octobre 2010

Portrait rond

Il y a de ces films qui ne vous laissent pas partir, qui vous donnent un petit chose pour la route. Une fraction d'essence pour ne pas dire le souffle d'un détail. Peut-être à force d'identification? Non, ce n'est pas le moi ni le corps en entier que vous vous approprier. Non, c'est uniquement de petits gestes, souvent imperceptibles, tel que le mouvement des yeux, une façon de regarder, de fermer, d'ouvrir les paupières, une œillade ou l'indiscernable mimique. Toutes ces infimes agitations de l'esprit qui érigent la quintessence des charmes et attraits des corps imparfaits.

Instinctivement, vous les jouer pour vous. Une véritable "retro" réincarnation d'indices phénotypiques que je qualifierai de murakamiens (seul le personnage d'un roman de Haruki Murakami est capable de percevoir de telles subtilités dans la gestuelle féminine). Mais surtout, vous êtes certain que les autres vous regardent comme on l'a regardé, vous, dans ce rôle subtilisé. Et vous l'êtes doublement: par les personnages du film réintroduits par vous même dans la réalité et par les spectateurs, dans la rue, en chacune des personnes que vous rencontrez.

Oui, Lea Saydoux est actrice à produire ce genre de chose. Dans Petit tailleur, elle joue cette actrice un peu folle et neurasthénique qui s'immobilise et se décontracte l'espace d'une mesure ou deux de temps strié de blanc. D'une froide et lointaine beauté, innocente et tragique, avec ces sourires gênés, ses cheveux décoiffés, ses soulier et sa façon de fumée. Elle y donne plus qu'un personnage, elle donne un visage, son visage.

Une vérité est vérifiée: "Nous sommes une matière qui épouse toujours la forme du premier monde venu" (l'homme sans qualité, Robert Musil). Le monde qu'une actrice a bien voulu nous donner. Dans ce genre de situation, on finit par se demander si le corps n'est pas autre chose qu'une simple hypothèse, l'hypothèse même de l'existence du corps. Si les sensations fonctionnaient toutes seules, exactement comme l'histoire du garçon amputé de la jambe qui ressent le souvenir de démangeaisons aux orteils de cette même jambe coupée? La sensation d'un corps que l'on pourrait changer, à son gré.

PS: je me suis permise un "vous" mais n'y voyez que moi si cela ne convient pas

samedi 9 octobre 2010

Nÿa

Vert caca-d'oie. Une omniprésence. Un parterre, une table, un lit, du linge de maison. J'étais loin d'imaginer qu'une telle teinte pouvait avoir un si large panel de déclinaison. Surtout ne pensez pas qu'il suffirait d'un intérieur aménagé avec force de subtilité (par un jeu d'affiches de poneys évidement) pour nuancer ce vert-d'âtre. Non, cette vicieuse couleur absorbe tout, en véritable trou d'oie au gavage infini! D'accord, je conçois qu'un discret concurrent tente de la dépasser: le gris, du gris crème campus au gris bois flottant, du pâle et terne gris asphaltien, au gris coquillage ou chardon des pâturages. Charmante alternative, n'est-ce pas? Mais, au grand hélas, ce vert anatidéen diarrhéique demeure le cryptochromisme préféré de Villermé.

Résidence Villermé, entre 9m² de feuille de papier, avec ses voisins âgés (frôlant la sénilité (cessité?) pour certains) furtivement happés par les murs dès l'arrivée d'un étranger et décapsuleur invétérés de bouteilles de shampoings. Ses prises de terre chevrotantes qui vous restent dans les mains, sa baignoire sabot de cheval où prendre une douche devient un véritable exercice d'acrobatie, son placard chauffant (à défaut du reste) et, pour couronner le tout, sa lancinante odeur de riz mijoté. Des locaux, plus sinistres que glauques,
d'un suffocant ennui, d'une étroitesse d'esprit, au point que devenir misanthrope, acariâtre ou même bileux ne m'étonnerait point (vais je finir comme Des Essaintes? Au secours!).

J'arrête ici la déflagration, il s'agit de relativiser: n'est-ce pas le propre de sa condition d'étudiant que d'être trop plein de choses accumulées dans un endroit trop vide d'espace? Que de contrebalancer ce fadasse environnement avec brimborion et calembour d'esprit? Un tout en un, une vie dans une poignée de main. Oui, je dirais un quelque chose d'alchimiste. C'est comme le café, d'en aimer uniquement l'odeur.




mercredi 29 septembre 2010

Maisdare in blue

Le Bleu, ce bleu, à nouveau, j'y reviens. C'est inévitable, puisque tout est bleu. Un indubitable recommencement, à croire que je finis toujours par revenir au même point, "comme un bateau au gouvernail tordu". Il en a fallu peu, un simple visionnage de Mulholland Drive. Et sa clé bleu, sa boîte bleu, l'embout du haut-parleur de Adam Kesher sur le tournage bleu, la hiératique spectatrice de la première logée coiffée d'une perruque bleue, et la scène finale, celle d'un Silencio illuminée de bleu. Bleu, du désir de la mort, véritable conciliateur capable de faire apprécier la violence de cette dernière sous la douceur du rêve. Kundera, je le rappelle, l'avait déjà dit "la douceur de la mort a une couleur bleue". Les Adam Kesher l'ont bien compris, eux aussi, et l'ont même entrepris (ici)

Et donc, ce bleu, a repris son apparente ubiquité dans ma vie. A nouveau, je le vois, partout:
Wangechi Mutu, et ses nattes bleues ,Yves Saint Laurent, et sa Villa Majorelle à l'élégant crépis bleu, ou encore, ceci:


Là, c'est à vous de deviner. Un indice: rêvez bleu.


Tout est bleu. (jeudi et o aussi)

jeudi 23 septembre 2010

"Survivre, après tout, c'est sans cesse recommencer à vivre"

En ce mois de septembre estival, il se pourrait que le film documentaire supplante de loin le reste de ses commilitants à l'affiche. Certes, Les amours imaginaires de Xavier Dolan et l'Homme au bain de Christophe Honoré (tant attendus par moi-même) ne sont pas encore sortis, mais ils attendront octobre pour être jugés. Voici donc les sélectionnés:

Entrecoupé par le suivi de la vente de sa collection privée, Pierre Bergé raconte, par bribes, ce qui fût l'étoffe d'un génie. D'un génie, j'aurai tendance à dire comme ce qui caractérise tout génie, au psychique extrêmement fragile, d'une intense sensibilité. Visionnaire d'une époque "Avant Turner, il n'y avait pas de brouillard sur Londres" , tout est dit. Mais, loin d'être un simple portrait, c'est la révélation d'un soutient, véritable pilier de l'ombre qui surgit: celui d'un amour fou qui a tout permis.
_ un idéal de bonheur?
_ un lit, bien rempli.
_ une mort parfaite?
_ dans ce même lit...bien rempli (sourire, celui d'un enfant qui ne sait pas mentir après une grosse bêtise).
Les réponses d'Yves Saint Laurent au questionnaire de Proust.
J'eus l'impression de voir Sagan...
"Un savant contraste entre sublime (des demeures, des créations, des collections) et dépression qui fait tout le sel de ce film émouvant". Très bien dit!

Montage de plans documentaires, d'archives et d'extraits de films par le jeu d'un judicieux entremêlement de récit à la fois historiques et humains, c'est le portrait d'Enzo, récidiviste forcené aux moustaches à la Wallenstein, et sa compagne transsexuelle Mary, qui remonte à la surface, comme deux naufragé de la ville de Gênes. Leur histoire, ou plutôt le combat d'une vie, d'un amour fou, là aussi. Images Godariennes en plan coupé, une voix-off. Celle-ci, de son ton cassé et sirupeux, semblable à celle d'un petit enfant debout devant la fenêtre qui regarde la pluie tomber, s'insinue par bribes interposées: la magie du verbe, celui d'un livre publié en 1892 par un certain Gaspare Invrea, La Bocca del lupo. Il nous parle des exclus, des exclus de Gênes. «Enzo, c’est la douceur d’un enfant dans le corps d’un géant» voici ce que Mary cherche à nous prouver, sur une toile au fond d'un bar, entre le crépuscule et l'aurore: L'Eau à la bouche de Gainsbourg.


«Au-delà des apparences» en lingala, la langue dominante à Kinshasa. Oui, cette bande dégantée de paraplégiques musiciens on the road est à des années lumières de notre monde labellisé. Pourtant, sur l'asphalte ils peuvent dormir, ravager par le feu peuvent être leur maison, rien n'arrêtera leur désir d'ascension, la voix de la musique afro se portera "Trés trés fort!". Un exemple de vitalité, plus qu'une image de persévérance et d'espoir, une leçon de vie, en somme. Il faudra distingué le remarquable Roger, le petit garçon au satongé, capable de tirer toute la gamme d'une guitare à une corde fabriquée à partir d'un bout de bois et d'une boîte de lait en conserve.



dimanche 19 septembre 2010

Avoir une robe couleur du temps

Aujourd'hui, je vais vous conter trois de mes plus insolites expériences parisiennes, que j'ai eu la chance de découvrir en une même semaine, une semaine "soliloquée" : péniche-boîte de nuit, temple japonais-cinéma et caserne-théâtre renaissance italienne.


Je marche sur le quai, il fait nuit. Au loin, j'aperçois sa grosse cheminée rougeoyante dont les reflets irisés sur l'eau me regardent dans le noir. Traversant le ponton, croisière d'un soir? Je m'accoutume peu à peu à l'obscurité: je cherche où poser mes pieds. Une puis deux, cinq! j'ai trouvé leur repère, les chaussures bout-pointues vertes pommes pullulent sur le navire-feu et je me dis que cela irait fort bien avec mon attirail égouttoir-porte-savon.
Arandel fait son entrée. Un brin déganté ces avant-gardiste tutti-strumenti! Je suis là où tout est immobile et attend. Puis quelque chose monte, de plus en plus haut, le beat se répand à petits pas à l'intérieur du corps, tel le faisceau d'un scanner qui vous ausculte. D'un seul coup, un vacillement m'emporte, est ce la musique? Le bateau semble vouloir s'harmoniser avec le tempo, le planché oscille, d'imperceptibles remous accentuant le feeling musical. L'ensemble du système air est en transe"I understood how to feel the air, how not to just breathe the air, but to feel the air." comme dirait Derrick May.
Pour la deuxième fois, me voilà prise pour une anglaise (ou irlandaise?), gardiens des vestiaires pourquoi? Le batofar déteindrait-il sur moi de par ces origines (le Batofar était un bateau-feu irlandais)? Il se fait tard, le mal de mer, l'alcool peut-être, la fatigue sûrement. Le weed carrier du bateau (qui se trouve être un membre des Heretik System) me raccompagne jusqu'au bout de la nuit (Châtelet), dans Paris, nous marchons, il fait nuit. Il paraîtrait que je suis une fille "précieuse": "avec toi, seules deux alternatives sont possibles: pour une nuit ou bien c'est le mariage". Ce soir, ce sera le mariage ou rien. Ce fût rien. Le Noctilien me prit dans ses bras, et me berça, de cette mélodie jaillissant du plus profond de mon enfance, celle qui fût ma toute première expérience radio, dans un bus, à Orléans. Et qui à chaque fois me revient, en voiture ou en train, remémorée par l'infinité des sons qui jaillissent mêlés au vent sur la route des vacances.


Surgit au coin de la rue: vous êtes rue de Babylone. Cinéma baroque, quelques mysticités s'en émanent, serait il possèder par les dieux? Saupoudré d'une fine couche de poussière, telle une machine à remonter le temps, il semble parachuté, ici, tout droit sortie d'un Japon appartenant à l'ère Meiji. D'un exotisme rare, on s'y croirait. Pour respecter cette ambiance sacro-sainte, c'est un film asiatique qu'il faut y voir, un film d'une profonde légèreté, d'une délicatesse épurée, s'apparentant par sa forme aux estampes de ce dernier. Poetry.


Ancienne caserne, puis théâtre-bouffe, caché par une façade typique du nord parisien, un théâtre renaissance italien, dénudé. Comme si la dernière phase de restauration ne fût jamais achevée: de la pierre brute, des traces de peinture, un palimpseste murale. Quelques dorures subsiste, et on ne peut s'empêcher de penser à Klimt et à son goût pour les petites projections dorées de certains de ses tableaux. Puis, monsieur le singe-homme, à moins que ce ne soit monsieur l'homme-singe, entre en scène. Dénaturé, il n'est pas homme mais ne sera plus jamais singe. La seule liberté, c'est l'absence de conscience. Voilà ce qu'il faudra retenir de ce discours, mesdames messieurs les académiciens. Acrobate prodigue, corps désarticulé, la démonstration s'effectue à force de bananes et de Rhum. Je dis bravo!


Que cela soit clair, tout individu se permettant une comparaison avec le baron de Münchhausen sera jeter nu dans un trou à sangsues en offrande au Poisson-griffus, notre dieu tout puissant!

mercredi 15 septembre 2010

l'homme, "c'est du temps à deux pattes"

Le voyage de Chihiri. Poème en prose, épopée foisonnante, conte philosophique, véritable traversée du miroir onirique et romantique signée par Hayao Miyazaki. Mais comment expliquer le pourquoi du comment du merveilleux réalisme qui s'en dégage? A l'aide d'un Banh Bao bien sûr! Vous savez cette délicieuse brioche vapeur au porc. A ce jour, je n'ai de cette brioche qu'une unique expérience gustative. Mais cela a suffit pour me replonger dans l'univers de Chihiro. Notamment dans un passage qui se révèle être d'une extrême intensité psychologique.


C'est le moment où, consciente de la perte de ses parents et de l'inquiétante étrangeté du monde dans lequel elle se trouve, Chihiro se met à pleurer, désespérée près de Haku. Celui-ci, d'une conscience presque trop salutaire pour son chagrin, lui propose avec fermeté une brioche ovoïdale d'une blancheur immaculée.
Chihiro accepte et commence doucement à la manger. Puis ses bouchées s'agrandissent, si bien qu'on pourrait croire qu'elle essaie d'avaler un énorme coussin en une fois. A ce moment là, de grosses larmes perlent de ses yeux et roulent immanquablement le long de ses joues bombées.

C'est ce moment précis, de la brioche qui engendre les larmes. De la consistance de cette dernière. De l'onctuosité qui s'en émane. Aussi moelleuse qu'un canapé Togo, hymne à la paresse, dans lequel on s'affalerait volontiers en rentrant du boulot. Rien que de la regarder manger, on sent un réconfort physique qui se propage dans tout le corps. Justement, ce réconfort engendré par l'aspect visuel de cette brioche ne serait-elle pas le reflet du réconfort psychique que son ingurgitation procure sur Chihiro? Et on touche ici le point clé du travail de Myazaki.

Miyazaki a effectivement la caractéristique d'avoir un dessin organique, où la texture des choses est visuellement palpable (souvenez vous du chabus dans Mon Voisin Totoro!). Une sorte de viscosité dans le dessin. Comme si un agent texturant y avait été incorporé. Au même titre que le jeux des tiges de bambous sur le dos des bàn-bàn dans les campagnes chinoises, tout l'équilibre de ces films en dépend. Un véritable plaisir stéréoscopique comme dirait Ernst Jönger.
"Je goûtais à ce spectacle d'un des plaisir les plus rares qui soient, celui qui met en jeu des sensations que je nommerais stéréoscopiques. Le ravissement éveillé par une telle couleur repose sur une perception qui embrasse bien d'avantage que la pure couleur. Il s'y joignait dans ce cas particulier quelque chose qu'on pourrait appeler la valeur tactile de la couleur, une sensation d'ordre épidermique évoquant agréablement la pensée d'un contact."

La magie de Myazaki. Surtout pour ceux, comme moi, dont la prévalence d'un objet sur un autre (alimentaire ou pas) se situe dans ses attributs de texture bien avant ceux de goût ou de couleur.

Et Haku dont je ne peux à chaque fois m'empêcher d'être amoureuse (lui aussi, il est plus que "touchant").

samedi 11 septembre 2010

Gurkenzeit

Moi qui croyais avoir le monopole, que dis-je l'entière exclusivité, c'est à la dire la pratique absolu que ce curieux usage. Et bien non. Murakami aussi, avec un goût substantiel de la métaphore, en sus.

Cette coutume, à laquelle je porte un intérêt non négligeable depuis un âge relativement tendre, consiste à avoir toujours et en tout lieu un morceau de gurke, dans son sac. Mais pas un gurke n'importe comment. Non. Il faut qu'il soit directement coupé de l'entité mère, comme on se couperait un morceau de baguette, et c'est tout.

Seulement voilà, même si je n'aurai pas la prétention d'affirmer que Murakami partage ce commun usage (je le vois tout à fait, tout en écrivain, croqué rageusement dans son bout de gurke), mais en tout cas, il pourrait bien en avoir un certain penchant, et ses romans n'en sont que révélateur (quand même plus diététique que le beurre de Lewis Carrol, du moins pas de risque de s'en graisser les doigts en tournant les pages..)

Il ne me reste plus qu'à illustrer mon propos, à l'aider d'un choix restreint, quoique assurément avisé, de ses livres (il ne tient qu'à vous d'en lire d'autres, ne serait ce que pour vérifier ma théorie).

- Les amants du Spoutnik:
Véritable rival du Viagra en matière d'aphrodisiaque ou serait-ce une métaphore phallique à la Louise Bourgeois?
"_ Mais comment faire pour 'être à l'écoute', comme tu dis? Il ne suffit pas de penser au moment critique: Bon, maintenant, je vais être attentif, à l'écoute, pour que ça arrive tout seul sur un claquement de doigts? Tu ne veux pas m'expliquer les choses un peu plus concrètement?
_ Eh bien, d'abord, il faut garder son calme, ne pas s'emballer. En comptant, par exemple.
_ Quoi d'autre?
_ Tu peux aussi penser à des concombres dans un figo un après-midi d'été. Ce n'est qu'un autre exemple, bien sûr.
_ Tu veux dire..., commença Sumire, puis elle marqua une petite pause avant de continuer: ...que quand tu fais l'amour avec une fille, tu penses à des concombres dans un frigo?"



-La ballade de l'impossible:
Mieux qu'un inhibiteur de la recapture de la sérotonine-noradrénaline, il est capable de donner des envies de vie au plus stick-in-the-mud des dépressifs (ilaurait fallu en prescrire à haute dose à Osamu Dazai, cela lui aurait éviter bien des tentatives)
"Cela ne vous ennuie pas si je mange les concombres, parce que je commence à avoir faim," questionnai-je.
Le père de Midori ne dit rien. Je lavai les trois concombres dans le lavabo. Puis je versai un peu de sauce soja dans une assiette, roulai un concombre dans une feuille d'algue et le croquai allégrement après l'avoir trempé dans la sauce.
"C'est délicieux, vous savez, lui dis-je. c'est simple, frais, cela exhale le parfum de la vie. Ce sont de bons concombres. Si vous voulez mon avis, je trouve que c'est meilleur que des kiwis..."
Ayant fini de manger le premier concombre, j'entamai le deuxième. Le joli bruit que je faisais en le croquant se répercutait dans toute la chambre.
[...] "Voulez-vous de l'eau ou un jus de fruits? lui demandai-je
_ Concombre", me répondit-il.
Je ne pus m'empêcher de sourire.
"D'accord. Avec de l'algue?"
[...] "Wanabe, tu es vraiment extraordinaire, tu sais? me dit-elle avec admiration. Tu lui fais manger un concombre, alors que personne n'arrive à lui faire avaler quoi que ce soit. C'est incroyable, quand même!"
(nb: je suis complètement d'accord vis-à-vis des kiwis!)



- La fin des temps:
Pour certains, c'est le nutella, pour d'autres le chocolat mousse au chocolat Lindt Création ou encore les cookies Bonne-Maman, et bien il y en a pour qui, c'est du gurke. Chacun son petit TOC culinaire:
"Le vieux grignota un sandwich pendant que j'en avalais trois. Il avait l'air d'aimer le concombre, et ouvrait les tranches de pain pour saupoudrer d'un air consciencieux son concombre d'une importante quantité de sel avant de le faire craquer sous ses dents. A le regarder mâcher ainsi, un je-ne-sais-quoi en lui me faisait penser à un grillon bien élevé."
[...]
"J'avais à nouveau faim, et, suivant son conseil, j'avalais le reste des sandwichs. Le vieux ayant focalisé son appétit sur le concombre, il n'y en avait plus une seule tranche et il ne restait que du jambon et du fromage..."

Sûrement tout ça à la fois. Simple, frais, craquant...Avec quelque chose en plus, qui nous rapprocherait des poètes bhoudistes d'Extrême-Orient. C'est l'"Expérience" du Gurkenzeit. Et pour moi, ce haï-kaï en est la parfaite incarnation.
"Le moineau sautille sur la terrasse.
Il a les pattes mouillés"
On sentirait presque le parfum des aiguilles de pin humides...

vendredi 3 septembre 2010

fliegt, flog, ist geflogen

C'est décidé, plus tard, si j'ai un fils, il s'appellera Knut. Entendons nous: prononciation de l'exaltant timbre germano-germanique!

Cela commença par une belle matinée d'août, sur un coteau verdoyant bavarois. Une de ces pentes, localement dénommée "Hang", où l'on aurait simplement envie de s'allonger et, parallèlement, de rouler-bouler jusqu'en bas, pour le plaisir de sentir l'herbe fraîche se mêler à l'odeur de Monoï émanant de sa peau.

Munie d'un "plastike Tüte", d'un déploiement prisonnier de ficelles bariolées, il faut attendre le vent (Westwind gegen Talwind) les mains arnachées en position au-top-je-fais-de-la-corde-à-sauter.

Mais attention, l'ennemie guète, près à passer à l'assaut à tout moment: ce sera la guerre des Brumms. Leur delirium tremens aguiché par la savante odeur Tamaru-coco-vanille des protections héliosiennes sera-t-il être contré? Qui de Anti Bruum et de Autan sera le plus efficace dans cette guerre acharnée avec les Mukes?

Puis, le signal est lancé "schöne Arme locker lassen, start frei". Et d'un coup, un sentiment de flottement, celui-là même qui vous envahit lorsque vous êtes sur l'eau. Seulement ici, c'est les courants d'air qu'il faut maitriser, non les vagues. Bercés par les prodigues de Rodrigo y gabriela les nuages sont vos voisins.

"Durchbremsen", on revient sur terre, et on se dit il est bien plat ce pays: un instant, l'enfance se fait sentir, n'est ce pas un endroit fort approprié pour faire la roue? Retour à la réalité, il faut alors tirer sur les ficelles, remballer le Tüte, le projeter tel un sac de pomme de terre sur son dos et remonter.

Il ne reste plus que les douleurs visuelles des "blaue Flecken "ainsi que le grésillement de la voix de Knut retentissant par soubresaut à travers le Lautersprecher.

"Coline ist nicht so gewöhnlich, oder?"
"nein, aber Knut auch, oder?"
L'essentiel c'est que nos noms furent appréciés...

lundi 30 août 2010

Self in other

Une image, mais une autre. Illusion de la représentation. L'hyperpixelisation comme moyen de substitution: tel une dichotomie des sens, deux champs lexicaux se confrontent ou se complètent à la manière d'un vieux couple, esquinté par le temps.



Quand l'héritage culturel pakistanais apparaît n'être qu'un assemblage hétéroclite d'affiches publicitaires. Désireux de remettre sur le droit chemin un intérêt publique trop longtemps porté à saturation et dont l'abstraction est plus que volontaire ou dénonciateur de l'avancé mercantiliste de l'art?

Où les tapis orientaux sont le fruit d'une juxtaposition ordonnée de corps animaux déchiquetés. Pamphlet contre l'exploitation insensée de Mère-nature ou mise en exergue des vertus transfiguratrice du regard de l'artiste?

De l'image paisible d'un océan agité ressort des monceaux de déchets. Symbole de l'étendue du consumérisme ainsi que de sa non-maîtrise?

Que penser de l'acclamation populiste de l'Armée Nationale constituée par un amas de photographies empruntées au cinéma pakistanais sinon l'indicible ironie d'un unanisme patriotique?



Les objets ont leur forme propre. Imaginons-les réduits à l'aspect le plus minimaliste de leur représentation. Que leur reste-t-il? Une conformation géométrique tridimensionnelle parallélépipédique.
Superposons alors à cette réalité tronquée l'image bidimensionnelle du superflu économisé. Voilà l'objet à l'intégrité retrouvée: notre monde ne serait-il que simple papier-cartons colorés?



Je terminerai sur l'Art, en particulier sur l'Origine du monde de Courbet. N'y voyez aucune perversité. Réinterprété par des clichés de boucherie humaine, de causalité terroriste ou meurtrière, il invoque irrémédiablement une complicité de cruauté charnelle, de désirs intérieurs (sexuels ou endoctrinements sacrificielles) se tournant vers l'extérieur (art ou innocentes victimes).



Désenchantante illusion, une exposition remarquable par sa pertinence avec un monde, si familier soit-il, qui nous est en permanence falsifié, préconçu avant d'être conçu.

mercredi 18 août 2010

Le retour de Tarzan

"Mon image sort de la ville/ Ôte ses vêtements/ Et part à la recherche du paradis perdu/ Elle mange l'herbe/ Elle boit la source/ Elle lèche l'écorce/ Elle suce le germe/ Elle mâche la graine/ Elle démêle le poil/ Elle lisse la plume/ Elle caresse le duvet/ Elle écrase les fruits contre ses seins/ Elle épand le sable sur son ventre/ Elle glisse les poissons entre ses cuisses/ Elle excite le singe/ Elle apprivoise le lion/ Elle passe ses nuits avec Tarzan/ Peu à peu elle perd la parole/ Puis la mémoire/ Et enfin la raison/ Qui l'aime se démasque et la suive!"

Evelyne Axell

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jeudi 12 août 2010

Qui est la femme et qui est l'oiseau?

Ce pourrait être le point, ou la ligne. Un entrecroisement palpablement tangible. Non, que dis-je, la surface même, bleutée. Il y a quelque chose, comme si, toute la substance cachée d'un être s'y trouvait projetée en filigrane: une rencontre avec ce qui ne peut être nommé.

Délicatement épuré, comme un effleurement, un ensemble sublimé où toute superficialité aurait disparu. Oui mais pourquoi, me diriez vous? "Atteindre le maximum d'intensité avec le minimum de moyen". Oui, c'est par parce que ce vide est que l'immensité poétique peut s'y confronté, que l'imagination peut y être "fécondée".

De ces objets, statiques en apparence, jaillit une mobilité sans fin, une danse entre l'infiniment grand et l'infiniment petit.

"[...] un rêve où l'on se trouve à la fois assister de l'extérieur à toutes sortes d'évènements extraordinaires, et demeurer silencieux en plein centre, avec un moi raréfié dans le vide duquel tous sentiments brillent en bleu comme dans des tubes incandescents." Robert Musil, L'homme sans qualités

Voilà Mirò tel que tu m'apparais.

lundi 9 août 2010

le pays des "grosses pierres" *

Le vent iodé aux odeurs goémonées nous assiège dès l'arrivée, comme l'assurance d'un caractère terriblement et définitivement breton. On se demande si les mouettes n'y trouveraient pas de célestes calories inexploitées tant leur acharnement à s'y confronter est grand.

Palourdes, bigorneaux, crabes, langoustines, le vivier en conchyophile nous régale de ses trésors . Au détour d'une rue, la Cour d'Orgères avec ses confitures insolites et coquines (concombre-groseille-gingembre) et ses glaces exotiques (cactus et pêche de vigne) ébaudit nos papilles gustatives. Sans oublier, le marché, aux couleurs bariolées, paradis des sens morbihannais.

Je me suis essayée au char à voile, savant mélange de vélo et de voile. Cette allitération labiale s'impose roi des plages gigantesques que la mer temporairement libère.

Et voilà que les discussions arrosées aux crépuscules s'étiolent: les nanoparticules des slips déchirés offriront elles une possible absorption d'eau par la voûte plantaire?

Idiosyncrasie sera le maître-mot.

*Et quelques allemands s'y sont égarés.

vendredi 6 août 2010

une troisième réponse

Hadewijch, du nom de ce cloître d'Anvers, où, une obscure nonne flamande avait dépeint ses visions de la quête de l'Amour divin par l'extase et la sensualité.

Désir charnel, si intense qu'il se nie: son corps lui fait mal. Elle aime le christ comme un homme. Et il lui manque, physiquement.
Suprême difficulté de soustraire le corps de son être.

Aussi rigide que l'ascèse est menée, la frigidité du corps demeure impossible. Elle résiste.
Les âmes devraient pouvoir se toucher.

Il fallût des mort, frôler sa propre mort pour se réconcilier avec ce corps.

Une deuxième réponse

Au fond d'une cour, ancien hôtel particulier, le parquet craque. La salle est grande, presque trop, je suis seule... Au plafond, des dorures effilochées subsistent comme témoins expérimentés des affres du corps soumis à d'intenses labeurs. Et il y a cet anneau clouté, suspendu, comme un appel à la corde où seul l'écho bleuté du centre GPPD de la fenêtre répond.

La musique commence, les boucles s'enchaînent, le 8 en sera l'ossature.

Le corps s'ébranle, dans le temps se déploie, s'intensifie: un autre je doit apparaître. ne plus penser seulement compter. La raison n'aura plus sa place. Et le bandolion prendra vie.



Il y a monsieur le musicien, petit et bedonnant, les cheveux gris-mer-tourmentée improvisant avec brio. Fin connaisseur parisien, un soupçon de mépris illumine son visage quand il parle: Et qui n'a jamais vu l'architecture interne du théâtre des Bouffes du Nord.

Il y a monsieur le chorégraphe, élancé, beau parleur italien, les yeux verts cheveux roux: Massine, c'était un russe aimant le kitsch de Broadway. Adieu théories épineuses, il nous faut copier, le corps sera l'adopter.



Je comptais, ils comptaient, nous comptions et le corps suivait.



Au loin, Bagdad Café s'enorgueillit. Un hommage à Béjart.

mardi 6 juillet 2010

parce que le regard n'est plus la fenêtre de l'âme

Lucian

Quand le corps n'est plus que chair, chair magnifiée, chair réfléchie, une texture palpable, presqu'un monde à elle seule. Peindre "comme la chair". Telle était la devise de ce maître de la physionomie humaine, où l'essence de l'identité de l'homme se situe dans son corps, dans l'animalité de sa figure.

Tellement vraie, tellement crue, être nu dans toute son âpreté. Sous l'influence manifeste de son ami Francis Bacon, pour moi, je ne vois qu'Egon Schiele capable de rivaliser avec ce virtuose de la chair. (à noter cette incroyable ressemble physique )


Egon Schiele




Lucien Freud










Lucien Freud
Ces corps ont la particularité d'être intégrés dans des décors à "double perspectives" et bien souvent bancales.

Lucien Freud
Si bien que tout semble s'écrouler, sur cette chair, comme si l'intensité de sa vérité n'autorisait aucune autre présence de réel.




















Et il tourne...

A nouveau, des corps "en chair et en os", qui s'emmêlent, se rencontrent, s'effleurent, se cognent. Ils communiquent. Nus, ou presque, tableau onirique, où ses protagonistes, maculés d'or (insouciance et abondance de l'âge d'or?) semblent se perdre dans les émois qui les accablent. Chacun met en valeur un talent qui lui est propre, tout en créant une homogénéité collective, imperturbable. Magnificence du corps, encore une fois. Il faudrait souhaiter de semblables rencontres, dignes d'autant de grâce et de sensualité.

Et petit à petit se dessine le printemps de Botticelli...

Le printemps - Botticelli
Me voilà, seule, faisant quelques pas dans la nuit parisienne, comme l'expression corporelle d'un état de vie.
Confirmation d'un désir latent, je danserai.


Addendum
Une réponse: "Dans un beau nu, le corps se suffit" (Willy Ronis)

Willy Ronis

vendredi 21 mai 2010

"Soufflant sur d'invisibles grains de poussière..."

On pourrait penser, comme ça, de prime abord, que Munich, avec ses rues proprettes, aux façades lubrifiées, ses bavarois etepetetes à la chevelure gominée et au sourire gibs figé-contrarié, avec ses voitures Daimler nickelée-chromée-moteur DB600, serait loin d'être la ville la plus funky d'Outre-Rhin. A moins d'être femme d'un avocat d'affaire retraité collectionnant des services à thé en porcelaines de Meissen, on attribuerait volontiers qu'un enthousiasme ulcéré pour la bière et la panto-manie germanique à qui souhaiterait s'y établir. En un mot, elle serait vieux jeu. De prime abord.

On se fourvoie.

C'est une ville aux charmes cachés. Au détours d'un feu, un évènement réagissant à une logique loufoque et décalée, une surréalité conceptuelle apparaît, en peu comme dans les livres "à la Vian".

Voici donc quelques trouvailles, qui font de Munich un authentique "électrolore" (m'étant impossible de recréer une ambiance par le simple jeu de l'écriture, je laisse la musique s'en charger):


_ ses cinéma-théâtres: on entre, un théâtre, on s'assoit, un théâtre, le rideau s'ouvre, un écran. Le film se met en scène, lui-même. Comme redouter à chaque instant qu'un de ses personnages n'en sorte, guidé par vos émois, une Rose pourpre du Caire... Tivoli-Theater, Teatiner-Film, Filmcasino, Theaterfilm Sendliger Tor ...Werkstattkino, sans doute le plus conceptuel: Im Keller, avec sa boîte à caisse, ses cinq fauteuils tout droit sortis de chez Eddie's Shoe Repair du Grand Central terminal, son rideau rouge sang et son écran guimauve (ici même a été projeté un film d'une abjection magnifiquement mis en scène)

_ ses cafétchen poufins. De ces petites tables 20cm de haut le long des trottoirs avec poufs, coussins, couettes en diverses poils et fourrures. Et on s'y assoie comme chez soi pour fumer le calumet de la paix avec un pote à la chevelure hirsute. Le concept du banc. On observe, on regarde, on rend-conte. Nothing personal... Les plus connus: Schall und Rauch, Celomena, Maxim's

_ ses activités sous toits: Ludwig Beck et son greniers jazzy-classico-rock, la Glodenspiel au décolleté plongeant sur la Frauenkirchen...en apesenteur, wie der Himmel über München

_ ses stations U-S-Bahn: Rosenheimer Platz jaune, Isator verte, Marienplatz Orange....Et si elles souffraient de synesthésie, elles aussi? Mais surtout, leurs voies pré-enregistrées, allant de l'extase d'une intonation poussée sur un i "Mariiiiiienplatz", à la sublimissime mélodie d'un "Bitte zurück bleiben"...

_ son Cord Club et son petit salon rétro, ses projections d'Olive et Tom sur des Uchiwas géantes, sa tonnelle "bubblies after midnight" et son incontournable Mr. AM to PM qui, sous ses aires de Monsieur Hulot en vacances, fait bouger nos corps n'importe comment sur Frittenbude ou Ergotonic

_ son marchand de glace italien Ballabeni, et ses sorbets tutti fruti rose-poire-rhubarbe-maracuja-ananas-orange-campari. Et un Chocolat bitter qu'on vient prendre jusque tard dans la nuit...

_ ses Victoria-Houses: cachées, ça et là, aux intérieurs si britisch, à l'odeur si à-cinq-heure-l'heure-du-thé-chez-grand-mère, ses scones chaperon-rouge et ses thés à l'entropie refoulée (Treibhauseffekt).

_ son oper, ma deuxième maison, sa chic façon de me donner des places premier rang pour deux sous, de me faire courir pour attraper mon train, toutes ses représentations autant éblouissantes qu'indiciblement abstraites et ses hôtesses d'une amabilité dont elles seules portent le secret.

Comme la rencontre fortuite avec un sac "l'écume des pages" ou l'amalgame hétéroclite de Löwenzahnen, sponsored by destinity...

lundi 10 mai 2010

Die welt ist bunt!

Voyez vous, j'ai découvert la chose plus abracadabrante qui puisse arriver: je suis SYNESTHETE. Hier, en cherchant une broutille sur Vladimir Nabokov, j'ai découvert qu'il l'était, et par là même que je l'étais aussi, bref, que nous l'étions. Moi qui n'avais jamais su mettre de mot sur ce phénomène tant coutumier que baroque. Merci Nabokov!

Débroussaillons quelque peu ce vilain mot avec un exemple approprié.
Connaissez vous la comptine Buvons un coup ma serpette est perdue?

ça donne à peu près cela:
«Buvons un coup ma serpette est perdue,
Mais le manche, mais le manche,
Buvons un coup ma serpette est perdue
Mais le manche est revenu.»


Bon, après faut faire les variantes en interchangeant les voyelles A, E, I, O, U, OU, É, È, OI, UI, OUI, AN, IN, ON, UN, OIN… Je sais pas ce qu'on pourrait trouver encore (l'allemand aidant: Ö, EI, EU, AU)

Donc voilà: cette chanson change de couleur avec les voyelles. Avec, A elle est violette, avec E elle est jaune, avec I elle est rouge, avec O bleue, avec u vert-bleue, etc...

Magique, non?! J'ai un kaléidoscope intégré au cerveau!

Revenons à une explication un peu plus rationnelle.
Le mot « synesthésie » viendrait du grec, syn, « avec » et aisthêsis, « sensation ».
Ce qui nous amène à la définir ainsi « la synesthésie est une condition neurologique dans laquelle la stimulation d'une modalité sensorielle provoque d'inhabituelles expériences dans une autre modalité sensorielle, non stimulée. ».
Le cerveau aurait pour ainsi dire la capacité d'associer au moins deux réponses sensorielles à un stimulus. Par exemple, certains synesthètes qui entendent une note de musique, associent automatiquement et constamment une couleur particulière à cette note. Les scientifiques dénombrent plus de 152 dénombrées synesthésie différentes.

Non, je ne vais pas m'attarder sur les 152, j'ai un chabus à prendre demain. Arrêtons nous aux principales:

_ « la synesthésie graphème-couleur » (les différentes lettres ou nombres apparaissent teintés de différentes couleurs),
_ « l'audition colorée » (les sons évoquent des couleurs),
_ « la synesthésie nombre-espace » (les nombres sont associés avec des localisations précises dans l’espace).

Quelques raretés:

_ « la synesthésie lexicogustative » (les mots individuels ainsi que les phonèmes du langage parlé évoquent des sensations de goûts dans la bouche),
_ ou encore « la personnification ordinale/linguistique » (des séquences, comme les nombres, les jours de la semaine, les mois et lettres sont associés avec des personnalités).

J'ai entendu dire qu'environ 4% de la population était touché, et 1 sur 2000 pour les plus rares.


Comment ça se passe dans le cerveau? La théorie de l’« activation croisée » (cross activating) nous en dit long: entre deux régions voisines, les neurones s’échangeraient des informations alors qu’ils ne le devraient pas. A la base, on le serait tous jusqu'à l'âge de 3/4mois . Durant les trois premiers mois, le cerveau étant encore immature, les informations arriveraient en vrac et seraient interprétées par tous les sens simultanément. A partir de trois mois, l'organisation des perceptions sensorielles se stabiliserait. Mais, pour certains individus, des causes génétiques seraient à l'origine d'un « mauvais câblage » entre différentes zones du cerveau, entraînant l'apparition d'une synesthésie.

Voilà, je serai donc mal câblé...

Toujours est il que la mienne est avant tout graphème, les jours de la semaine ont chacun leur couleur, les mois aussi, la gauche est rouge, la droite est bleue (indépendamment des partis, entendons nous), les notes de musiques sont une palette, les prénoms, teintés, et les différentes périodes de ma vie oscillent entre éclaircies et obscurités. Quant aux lettres, seulement les voyelles sont concernées.

Petite particularité: les mots ont un caractère, ils sont plus ou moins «agressifs». Soit arrondis, soit anguleux. Ce qui fait aussi qu'un même mot peut avoir différentes couleurs et différentes formes. Prenons l'exemple d'hémorroïde (je le répète, le plus beau mot de la langue française): il est arrondi à ses extrémités, anguleux au milieu, un début jaune, un milieu bleu, et une fin rouge. C'est beau n'est pas? J'ai peur que «terrible» me morde...

Quelle histoire! Et moi qui pensais que tout le monde voyait les choses ainsi, apparemment non.

Et vous autres, auriez vous aussi une palette de peinture dans le cerveau?

mercredi 28 avril 2010

« Avec quoi fabrique-t-on le beurre ? »


" _ Du poivre, surtout, répondit la cuisinière.
_ De la mélasse, lança une voix endormie derrière elle."


Rassurez vous, je n’ai nullement l’intention de poursuivre ce poste sur le pourquoi du comment du barattage du beurre et de la fuite de son babeurre. Je souhaite seulement vous faire part d’une surprenante découverte : Lewis Carroll est émotionnellement affectée par le beurre ! Si si, absolument. Il suffit pour s’en convaincre de lire Alice au Pays des merveilles suivi de La traversée du Miroir : tous les chapitres en sont imbibés, elle en a mis des tartines, c’est le cas de le dire ! (dorénavant, je ne touche à mon livre qu’uniquement munie d’une pince à beurre, un dérivé sexy and catchy de la pince à sucre).



Et j’entends bien donner des preuves de mon accusation (la découverte de cette ubiquité lactée n’est pas nouvelle, Wald Disney avait su la déceler et judicieusement la transposer avec la création du « tartine-beurré »)

- Il se trouve que dans l’univers carrollien, outre que les montres indiquent le jour du mois et non l’heure, elles se remontent au beurre ! Quoi qu’en dise le Lièvre de Mars, un beurre de premier qualité est une condition nécessaire mais aucunement suffisant : il faut surtout éviter de l’étaler avec le couteau à pain, des miettes pourraient compromettre le mécanisme !

- Figurez-vous qu’un des passe-temps favoris de la Reine de Cœur, après le croquet et la décollation de ses sujets, n’est autre que la fabrication de motte de beurre ! D’ailleurs, bien mal en a pris au pauvre petit valet de cœur d’en voler une !

- Le chapelier, lui, est condamné à prendre le thé, et les tartines de beurres associées, ad vitam aeternam ! Que voulez-vous, ça lui apprendra, s’il n’avait pas massacré le temps en chantant « Twinkle Twinkle Little Star », ils ne se seraient pas disputés, et il ne serait pas toujours l'heure du thé! (qu'il a commencé je crois bien le 14, ou le 15 à moins que ce ne soit le 16 du mois de mars, enfin, juste avant que le lièvre devienne fou)

- le Charpentier s’est fait bougrement avoir par le Morse à cause d’un beurre trop épais difficile à tartiner sur son pain ! Adonné à cette fastidieuse tâche, le morse en a profité pour gober toutes les huitres.

- Et puis il y a le premier messager Lyaifvre, qu’Alice aime pas L ("j’aime mon ami par L, parce qu’il est Libre. Je le déteste parce qu’il est Laid. Je le nourris de Lard et de Lierre. Il s’appelle Layaifvre et habite à..."), qui s’avisa de chuchoter en hurlant à l’oreille du Roi Blanc. Le roi le menace de se faire beurrer s’il lui prenait de recommencer (va-t-on savoir en quoi consiste un tel châtiment??). Le deuxième messager (pour le retour cette fois), Chaspe-Liée, se console largement de sa sortie de prison en buvant du thé accompagné de tartines beurrées, car il faut savoir que, là-bas, on lui donnait pour unique pitance qu'une une poignée de coquilles d’huitre ! Il a donc grand-faim et grand-soif.

- Enfin, dans l’étrange chanson que lui conte le cavalier rencontré avant la huitième case (où Alice, à son grand damne, deviendra reine !), un vieux vieillard affalé sur une barrière énumère les moyens qu’il a inventé pour s’alimenter. Et il lui est arrivé de déterrer des brioches au beurre. (lui aussi il veut se teindre les cheveux, mais en vert)

A mon avis, Lewis Carroll a dû faire des orgies friand-pâte-feuillé-kouign amann étant enfant, ou bien serait ce le syndrome de l’odeur de frangipane transpoté au beurre ?
A moins que cela ne serve à produire quelque chose ?

"la roue de la frémissante conception de la viande tourne dans le vide procréant les tics, les porcs-épics, les éléphants, les hommes, les nébuleuses, les idiots et la crétinerie"

Les clochards célestes, Jack Kerouac





Après tout, si ça marche avec la viande, celle de la conception du beurre pourrait bien procréer les toves 
, les borogoves 
, les Fausses tortues, les chapeliers, les mot-valises, les fou-aliés et l'absurdité?

jeudi 15 avril 2010

les Yeux noirs, cheveux bleus

Bleu. Je VEUX me teindre les cheveux en bleu. De la couleur de cette note que Delacroix et George Sand croyaient entendre chez Chopin « Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente… » écrivait George Sand dans Impressions et souvenirs. A moins que ce ne soit celle de l’appel des ombres brumeuses hadèsiennes que Kundera évoquait si bien dans le livre du rire et de l’oubli « La douceur de la mort à une couleur bleue ». Perséphone aspirée par la terre. Un « Es muss sein » extrêmement léger...

Ou simple lubie de moi marquée à jamais par la stylistique cinématographique Kubrickienne ?

Et puis zut, les yeux, c’est tellement banal… Alors que les cheveux ! D’abord, je ne suis pas la seule : déjà, il y a une Tsé-Tsé (faire un tour ici, une impression de logiciel éducatif qui nous faisait cliqueter partout avec des tits bruits mi organiques mi synthétiques). D’ailleurs, si un jour j’achète un vase (je dis bien si un jour, parce qu’un vase, c’est bien le truc qui sert à rien, genre le cadeau complètement stérile que t’offre à ta belle-sœur), ce sera leur magnifique vase d’Avril (parce que lui, il les détruit, les bouquets !)



N’oublions pas Princesse connard, reine de la musique électro nippone qui chauffe régulièrement la piste du Trash Kawaii Klub avec sa spécialité : le Kawaï Hardcore (un cocktail de raretés nippones pour érudits sauvages). Hélas, j'ai pas la preuve photo du bleu de ces cheveux.


Bien sûr, Kate, dans son Eternal Sunshine, qui change de cheveux comme de chemise…
























Et le cultissime Barbe Bleue! (je le mets dans la catégorie, même s'il n'avait de bleu que la barbe). Je me suis toujours posée la question du rôle bleu de cette barbe dans l'histoire. Épouseur à toutes mains, d'une cruauté sadique, a la férocité digne d'un empaleur...comment le bleu peut il en être la cause? (A moins qu'elle ne soit en réalité pas bleue mais noir corbeau, un noir tellement intense qu'il tirerait sur des reflets bleutés?)




C’est bien beau tout ça, mais il ne faut pas amalgamer les bleus. Il y a bleu et LE bleu. Il doit faire tout son effet, il faut cerner le bon, aguerrir son œil… Le problème une fois endurci, on ne voit plus que ça (limite si je ne crierai pas en pleine rue : c’est bleu (CE bleu)! Il surgit dans des lieux tout à fait inattendus: un crédit bancaire , chez certaine chenille (Jésus, ça m’a l’air très saugrenue)…un peu trop papillonnant

parce que j’ose pas écrire Avatar, mais c’est pourtant le bon bleu




…un blue lagoon, histoire d’encaisser ?





Parfois, les pouces s'y mettent




















A ne pas confondre avec celui d’Yves Klein, même s'il en est très proche


















ou Ruscha, encore plus proche
















C'était seulement quelques exemples (avertissement: la pigmentation de la toile ne rend absolument rien de CE bleu, il faut le savoir)


Je ne peux pas.

Il faudrait des yeux noirs pour aller avec.

mercredi 10 mars 2010

ЁЖИК

Friedrich m’a encore donné du fil à retordre. Non, pas celui des arbres, un autre. (un complot, je vous dis, ils se sont tous ligués ! Il manquerait plus que Nietzsche s’en mêle). Connaissez-vous « l’histoire de Friedrich le hérisson » ? C’est un petit trésor (je crois même que c’est un conte pour enfant, enfin…).


Déjà, plantons le décor : site dédié aux hérissons, aux tortues et à l’électronique (Quel amalgame, pire que le sacrifice de poneys roses selon les rîtes téotihuacaniens en présence d’Arielle Domsbale). Toujours est il que ce site vous fournira de saines mise en garde si vous envisagez l’une de ces trois activités : “pourquoi vermifuger préventivement les hérissons ?”, “Que faire quand on vient d’écraser une tortue?”ou encore “quelles sont 7 erreurs à éviter lorsqu’on construit un gyrophare”. Très utiles si vous décidez un jour d’adopter une tortue et de lui faire installer un gyrophare sur la carapace (malheureusement, il ne parle pas du cas des pierres précieuses, on ne tiendra donc pas rigueur à des Esseintes pour son crime, considérons-le comme un tortue-icide involontaire).


Mais revenons à notre petit hérisson. Le portrait du maître.

Friedrich est fin connaisseur de littérature du 19ième siècle. Outre les précieuses intertextualités (le Livre De La Jungle et Merlin l’Enchanteur), il nous parle de la très brillante George Sand. Je dis elle, car derrière ce pseudonyme masculin se cache bel et bien une femme, et pas des plus anodines, du tout. Pour aller de paire avec ce nom, elle avait pour coutume d’adopter des tenues vestimentaires masculines, c’est plus économique s’en défendait elle. Mais loin de croire qu’elle jouait pour autant la travestie, bien au contraire (à l’opposé de son contemporain Charles de Beaumont, chevalier d’Eon, mais ne nous égarons pas). Figurez vous que cette chère demoiselle fût l’amante, dans l’ordre, des écrivains Jules Sandeau, Prosper Mérimée et Alfred de Musset, de l’avocat Michel de Bourges et pour finir avec le compositeur Frédéric Chopin. Beau répertoire à son actif, n’est-ce pas, qui fait mieux ? Ainsi, Friedrich (notre hérisson) nous suggère la lecture de François le Champi. J’y veillerai.

Friedrich a un cœur d’artichaut (dont il raffole soit dit en passant). Il se fait parfois appeler Edouard (le fameux Edouard, celui aux mains d’argent). Subtile métaphore sur la question du pouvoir de séduction des hérissons : étant fort mal lotis à ce niveau, ils ne peuvent en user qu’en jouant sur l’émouvant contraste entre leur âme tendre et sensible d’un côté et leur corset épineux de l’autre. Friedrich est un as en la matière, et il est amoureux de d’Hapydjefaï.

Friedrich est également un érudit de musique classique, il délecte l’esprit avec le piano, est au comble du ravissement à l’opéra : surtout les russes. De ces personnages de la fin du 19ième siècle, « petit de taille, mais grand de cœur, gai en surface mais résigné au malheur », voilà Friedrich qui se prend au jeu, il voudrait même s’appeler Yojik. Ca te va comme un gant Friedrich !

Friedrich s’improvise philosophe (ce n’est pas pour rien s’il s’appelle ainsi« Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort », ben voilà Nietzsche). Petite leçon existentielle : il ne faut jamais capituler quand on souhaite vraiment quelque chose même si on se dit « A quoi bon puisqu’on est tous mort à l’arrivée ? ». J’y avais pensé aussi. Merci Friedrich, je reprends espoir.

Friedrich est un militant dans l’âme, il n’hésite pas à s’engager pour le bien de son peuple : contre la traite des hérissons en Afrique, manifestons ! je suis avec toi Friedrich !

Et puis Friedrich a plus d’un tour dans son sac : il capable de ronronner la maman des poissons. En véritable vorace, il mène avec habilité un corps à corps avec des serpents et des scorpions, pour ensuite les gober, d’un coup. Et il est apte à estiver bien que ce soit un hibernant. Fastoche!


Et Friedrich connaît l’étymologie du mot baba !!!

L’histoire atteint son paroxysme avec la sacro sainte chanson du coucou dans la forêt «smile»


Est-ce vraiment un conte pour enfant ?

I love Friedrich

vendredi 5 mars 2010

baba und fall net


Baba…qui aurait pu imaginer que ce petit mot, que dis je, cette onomatopée directement associée au gazouillement d’un bébé, ait pu être si riche de sens? Comment croire que la figure paternelle en fût l’origine ?
Retour aux sources, précisions de vocabulaire.








Dans la langue de Molière:

_ Ce qui vient naturellement : le gazouillement d’un charmant bambin

_ Le gâteau, fameux baba au rhum (les gourmands se reconnaîtront) : j’ai ouï dire qu’un certain roi de Pologne, Stanislas Leszczyński pour être tout à fait précise, raffolait de Kouglof (ces légendaire gâteaux en force de turbans de Roi Mage). Malheureusement, fautes d’avoir suffisamment de dents, il ne pouvait pas se délecter à son aise de ce vice culinaire. Il eût alors l’idée (de génie) d’en ramollir la pâte à l’aide de vin de Tokai (il renversa carrément la bouteille dessus, malin). Et comme, à la même période, il aurait lu et fort apprécié les contes des Milles et Une Nuits ( se reconnaissant dans le personnage d’Ali Baba), il aurait décidé de renommer cette pâtisserie Baba, en l’honneur de son héros. A moins que ce ne soit parce que la forme lui rappelait celle de la robe de sa grand-mère (se dit baba en polonais). Il était complètement allumé oui ! Toujours est il qu’il importa son astucieuse découverte en France (au grand soulagement de tous les édentés de l’hexagone), dont la liqueur de Tanaisie fût remplacé avec du rhum par le célèbre pâtissier Nicolas Stohrer. Ce qui rendit son accessibilité au plus commun des mortels.
Un peu tiré par les cheveux, n’est-ce pas ? Je vous l’accorde…

_ Expression de la stupéfaction : Cela viendrait du latin médiéval (bas latin) issu lui-même du latin des environs du Palatin (ce calembour n’est pas intentionnel, bien sûr ).
En bas-latin, donc, 'batare' voulait dire 'ouvrir la bouche’. Et nos verbes 'ébahir', 'bailler' ou 'béer' en puiseraient leur origine.
A la fin du 18ième siècle, ‘ébahir’ donna naissance à baba, onomatopée obtenue par redoublement du radical 'ba' de ce verbe.
En ce temps là, l’expression était utilisée comme un nom propre "rester comme Baba" ou "rester comme Baba, la bouche ouverte". Ce n'est qu'un siècle plus tard que l’expression tel que nous la connaissons apparaît. C’est ainsi que Baba fût détrôné et ramené au rang du vulgaire.


Mais, ce n’est pas en français que baba nous présente tous ses atouts : son côté germanique est beaucoup plus interpellant :

_ Dans la langue de Goethe, il serait utilisé dans un contexte plutôt familier, principalement lorsqu’on s’adresse aux enfants. Cela désignerait quelque chose d’immonde, de sale, qu’il ne faut pas faire ou toucher. A la base, il s’agirait d’un emprunt au babà lituanien signifiant ‘qui n’est plus là’, ‘qui est déjà parti’. Un exemple traduit pourrait être : "non, n’y touche pas, c’est baba !" (c’est bahhh, baaahhhh, pas beau)

_ Chez leurs voisins autrichiens, la signification prend une tournure quasi kafkaïenne. Effectivement c’est papa qui aurait muté sous l’influence du dialecte (LE dialecte). Le rapport ?? Et oui, durant la période Biedermeier, le père incarnait la figure charismatique de l’univers familial, régnant en véritable monarque sur femme et enfants (cf. Das weiβe Band pour voir faire une idée, même avec un siècle de décalage). Il était fort recommandé, dans la haute aristocratie, d’adresser ses adieux en rendant hommage au père, en ces termes : "...und schöne Grüße an den Herrn Papa!", soit "... et bien des choses à monsieur le papa" . Le papa muté s’emploie aujourd’hui avec dans le cadre amical et s’identifie , entre autres, à "bis bald ", "tschüss" ou encore "servus" .


Bon après, je n’aborderais pas sa signification albanaise, polonaise, ou turque, encore moins chinoise. Aber, das pockt den Hund nicht hinter dem Ofen hervor !

lundi 1 mars 2010

"Beam Drop"

Par où cela a-t-il commencé ? Avec les arbres, oui, au commencement, il y avait des arbres. Pas n’importe lesquels, ils étaient nus.


C’était par un après-midi d’été, dans un Berlin engourdi (j’aurais même pu dire moribond tellement il y avait de « pas »). Et je suis entrée dans la Alte Nationalgalerie. Quant à comprendre le hic de ce nunc et le quid de ce quod ? Ennui ou lubie d’esthète ? (cette absence de réalité qui faisait partie des « pas », sûrement). Voilà où Friedrich et moi, nous nous sommes rencontrés pour la première fois : lui coincé entre un Waldmüller et un Blechen, moi dans un état d’hyperactivité spirituelle, cherchant à dissoudre cet ennui... Toutefois, l’effet ne s'est pas produit immédiatement, il n’y a même rien eu du tout, absolument rien. Si, un vague fumet angoissant s’en dégageait, relevé d'une touche de mysticisme. Peut-être.

Puis, j'ai oublié (mon hippocampe a dû vouloir le ranger au fond d’un tiroir, comme une dent de lait ou un caillot d’appendicite, pas d’inquiétude, me dis je, tu le retrouveras très certainement d’ici quelques années..).


Deux ans se sont écoulés, je suis retournée en Allemagne et Friedrich m’y attendait. C’est la faute des arbres, voyez-vous, les arbres l’hiver, décharnés comme morts. Nus. L’angoisse, latente, se réveille, Friedrich surgit : il est là, nulle part et partout, il me fixe. Comme propulsée instantanément, l’image devant mes yeux, une abîme à elle seule. Me voilà condamnée, un arbre l’hiver ne pourra jamais plus n’être qu’un arbre en hiver (« Qui vous dit que l’oiseau fondant les régions éthérées n’est pas un univers de jouissance infini ceint par le quintuple mur de vous sens ? » Oh, très cher William Blake, que vous avez raison !). Tous seront dorénavant mes arbres de Friedrich (vous l’aurez compris, Friedrich et moi, maintenant, on est inséparable)


L'Abbaye dans un bois


Malheureusement, la malédiction ne s’est pas confinée aux arbres seuls. Plusieurs entités sont venues progressivement s’y greffer, différents maux l’ont envenimé (attirant et gentleman, Friedrich était très courtisé de son vivant, sans doute). Les canards, d'abord: je suis devenue anatideaphobe. C’est une chose effrayant que cette peur obsessionnelle qui occulte vos pensées, d’un regard de canard figé, et il faut voir la bête ! (Petit bémol aux canards mauves aubergines-klaxons, ceux-là, aimons-les!).

Puis ajoutez-y des bocaux (attention, uniquement sur la cheminée, et de la mère de Verlaine je vous pris), ainsi que quelques pieds de porcs (à ne pas intervertir avec une tête de mouton, ça peut être fatal). Laissez reposer. Quelle inertie insupportable, à peine tolérable (un effroyable « pas »). A ce stade, il nous faut du mouvement, ad hoc. Tressautement, frétillement, premier ébranlement : ça bouge (ouf). Un combat acharné s'amorce. Premier round, le tango mène la danse. Deuxième round, celui-ci est littéralement envoyé sur le carreau par la fameuse et très attendue danse des canards (problème technique d’adhérence, incompatible entre des pattes palmées et des pieds fourchus: le tango est bancal). Révélation! Mais suis-je bête, ne pouvait on pas qu’en espérer tant? Oui, celle là même qui servait de défouloir à nos instituteurs de maternelles : « putain, y en marre, et si on leur faisait faire une danse des canards ? ».


Je viens de faire une psychothérapie.

Vous n’y croyez pas ? Vous êtes un lecteur buté, un canard en plastique en somme..