lundi 15 août 2011

Ich schmolz zu einem kleinen, hübschen Nichts zusammen @Kennedybrücke

Un pont magique.


Il fait chaud, le vent se lever, s’infiltre au dedans à travers les tissus légers de mes vêtements, comme un tourbillon me fait danser et semble vouloir m’engloutir toute entière dans un nul part perdu, au plus profond d'un néant inconnu. Les couleurs sont atypiques, un rose bleuté orangé illumine l'immensité du ciel habité par une masse spectrale de nuages, puis retombe docilement sur le scintillement de la grande roue qui tourne à vide, inlassablement. Les nuages sont vagabonds, par amas se font tantôt menaçants tantôt coquins, dessinent dans le ciel des formes aux contours abstraits: la fresque du temps de la journée qui vient de passer. Des péniches attrape-œil nous attirent vers le fleuve. Immenses dans leur longueur, happées par le fond de leur poids : à chaque second on a peur qu'elles se noient. Leur lent déplacement conjugué à cet appel vers le bas dégage une profonde empathie, un sentiment conjoint de devoir accompli avec labeur et d'éreintement continu. Pauvres grandes demoiselles, vous êtes élégantes malgré le fléchissement de votre robustesse.


Sur ce pont, on peut rester longtemps. C'est sans doute à cause de l'eau, étendue si familière, artéfact de la surface du sol, car c'est un piège , il y a un dessous que l'on ne verra jamais. Mais d'où vient donc cette constante attirance pour les masses d'eau? D'un fait historique incontestable, du point de vue sanitaire mais surtout en terme de développement économique, de nos jour un tel argument est il encore valable? Et pourtant, quand on y fait abstraction, quand on se détache de tout aspect matériel, le fait là, univoque. L'eau, étendue, a de l'attrait, nous séduit, nous met dans un état de profonde mélancolie. Pourrait on donner une explication par un peut-être? Peut-être parce que les masses d'eau ont la capacité de capter une petite parcelle de l’immensité du ciel? Oui, cet objet si lointain nous semble soudain tout près, à porter de main.  Se sentir plus près du ciel, voilà qui prend toute sa signification à un inconscient collectif dont la destinée s'en remettrait immanquablement aux célestes hauteurs. Ou est-ce son calme apparent? Le foisonnement du biotope l'entourant? La face cachée de son aspect innocent, torturé et torturant de la chercher constamment? Tant d'autres choses le sont également, et pourtant? Serait ce alors l'effet du pont?


Pont, dans tous les cas imperturbable à ce questionnement. Quelle émotion de sentir qu'en maître il vous retient malgré tout, qu'il vous soustrait de l'appel inconscient de la masse d'eau, lui majestueux et empli de la sincère assurance de son être. Sinon, la tentation serait trop forte, y plonger serait trop facile, s'oublier dans l'immensité de ce bleu serait merveilleux.


Producteur d’illusions d'optique, il en distribue à tout-va, dispatcheur de distorsions et de superpositions, tout prend d'incroyables proportions lorsqu'on s'y promène: le ciel au dessus de nos têtes, l'eau qui coule sous nos pieds, les péniches qui croisent nos enjambées, et les mouettes qui rient de nos pensées. Tout est grandi, magnifié, les éléments prennent vie dans un fracassant éclat de supériorité. Les parties mortes de la nature deviennent soudainement chaotiques, emplis d'une force nouvelle et mystérieuse, se déchaînent, comme alimentées de sucs magiques, en une force d'expansion, de lui vers la plénitude des environs. Qu'il semble grand, impétueux, il dessine son chemin, comme un étirement prolongé dans le temps, un trou dans l'espace, dans le mouvement.

" On se suffit profondément à soi-même, on oublie consciemment…Fermons les yeux, à l’abri pour l’éternité ! Mais non, voyez, là-bas, dans l’étendue gris vert et écumeuse qui se perd en de puissants raccourcis jusqu’à l’horizon, voyez, une voile ! Là-bas ? Quel là-bas est-ce ? A quelle distance ? Proche ou lointain ? On ne le sait pas. On sait quel vertige trouble notre jugement. Pour dire quelle distance sépare ce bateau de la rive, il faudrait savoir quelle est sa taille. Petit et proche, ou grand et lointain ? Notre regard est incertain, car nous n’avons pas d’organe ni de sens qui nous renseigne sur l’espace…Nous marchons, nous marchons. Depuis combien de temps ? Jusqu’où ? Qu’en savons nous ? Rien ne change notre pas, « là-bas » est pareil à « ici », « tout à l’heure » est semblable à « maintenant et à « ensuite » : le temps se noie dans la monotonie infinie de l’espace, le mouvement d’un point à l’autre n’est plus un mouvement, il n’y a pas de temps. " La Montagne Magique, Thomas Mann

D'une propulsion, il nous projette de Bonn à Beul, c'est selon la direction. Les mouettes rieuses donnent une touche de gaîté à cet ensemble suspendu, obstacle imprévu entre deux immensités qui cherchent perpétuellement à s'embrasser. L'eau ne rejoindra jamais le ciel. Complices de cet envoûtement lésé, joie des cellules du corps toute amplifiée.

Tout ceci ne serait qu'une métaphore?
"La grandeur de l'homme, c'est qu'il est un pont et non une fin" Nietzsche


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