mercredi 15 juin 2011

@innovation point, Waschcafé

Un piano sans queue supporte un chandelier sans bougie. Un palmier lui tient compagnie: car secrètement il voudrait l'embrasser (humiliante inclinaison, il m'a lui-même susurré l'espoir que sa pensée soit un jour devinée).
Cette nature morte limogée résume à merveille l'ambiancement de ce local piano-bar-machine à laver.

Laver parce que laverie à 5 machines. Identiques, germaniquement alignées sur un piédestal, leur tambour tourne et ronronne: une impression d'envol réprimé. Impétueuses, elles brouillent la perception du temps dévoré par un cycle perpétuellement renouvellé: cliquetis d'ouverture et de fermeture des portes, le frottement des grains de lessive qui s'écoulent les uns sur les autres, les balancements des tambours, des froissements de linge.


 Kolja Jaschke
le doigté nébuleux
de Kolja Jaschke
Une se tient cependant à l'écart, elle est grosse et noir. Et de loin la préférée des clients les plus discrets. Elle porte silencieusement et méticuleusement la tâche qu'on lui a confié.
Au pragmatique s'ajoutant l'artistique, une mélange chaotique d'art au doigté nébuleux, de linges à laver-lavés/à repasser-repassés, et de tuyauteries dégradés, d'un rouille bleuté tendrement feutré. Dans l'arrière boutique, la photocopieuse reste sur ces gardes au milieu de cet amas hétéroclite en tout point boltanskien. Les machines tiennent à l'écart les mauvais esprits qui voudraient la recharger en papier: elle demeure ainsi inoccupée.

Kolja Jaschke


Bar parce que tables et chaises de bois, poufs et fauteuils, plaides à la désinvolte nonchalance. Quand il est là, le capitonnage est panthère. Une panthère bien féline qui se cache parmi les cousins quand elle ne revêt pas le comptoir du bar ou son soubassement. On la traque entre deux tasses de café.
Les mugs sont divers et variés, brillent de leur unicité esseulée. La bouilloire-filtre à l'ancienne dégage la caractéristique vapeur de lixivat de café qui envahit la salle de toute son odorité: café lié-joie dont l'exaltation s'ébruite parmi couverts. On les entend avec confusion entre les scintillements des gouttes de pluies se dispersant sur la gouttière en zinc, de la porte d'entrée entrouverte.

Piano parce que pianiste. Fracassantes les notes tombent, s'infiltrent entre le ronronnement des tambours des machines. Dehors, la pluie et le bruit du tonnerre viennent s'associer aux forces des accords pour faire chuter de concert la chaleur accablante et le morfond ennuie.
Le pianiste, quand lassé de jouer, s'adonne à de curieux exercices. Il siffle pour imiter le chant des oiseaux. Deux Gummibärchen géants surplombant les machines à laver surveillent ce jeux effrayant de vieux grincheux qui fait peur aux enfants.


Ici le temps n'est plus perceptible, se dilate et se contracte tel un fluide viscoélastique soumis à des variations d'humeur. Il se présente dans toute sa nudité, nudité impossible à mesurer: anarchiste il évolue contre tout gré.
Ce qui fût le temps d'un orage, d'une lessive (avec du Grüner Strom^^) et d'un thé .

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