mardi 28 juin 2011

de l'anatomie de la sensation

L'escalade est bien loin d'être une simple activité, qui laisserait le temps passé, en se donnant la bonne conscience de faire un geste pour sa santé, pour maintenir un corps robuste contre le flétrissage des années. Bien loin de cette envie frénétique de compétition, d'être toujours le champion, se montrer face aux autres, les dépasser pour s'adorer.  Bien loin d'être un sport comme un autre donc.

Non, s'il n'y avait que cela, je me serais inscrite au fitness Studio (sculpture du corps), au club de foot (corporéité au service de l'adversité) ou j'aurais simplement fait du vélo pour me fatiguer. J'aurais fait un sport dont la finalité serait d'être sport et de se dépasser (tant soit peu qu'il faille en faire un, pression sociale obligeant).

Avec l'escalade, c'est tout autre chose. Il n'y a nullement qu'un corps à sculpter, qu'un but à atteindre - le haut de la voie - comme il n'y a nullement qu'un sommet - "au sommet du sommet du monde, il y a encore le monde. Et tout le reste est ordinaire". Expression empreintée au Raqs Media Collective lors son installation Strikes at times à l'occasion de l'exposition Paris Dehli Bombay organisée par le Centre George Pompidou cet été à Paris. Tout est dit.

C'est une façon de mouvoir le corps, de le faire exister et de le libérer de la pensée.

Un art d'être contraint tant et si bien que le corps empreinte une forme inhabituelle, qu'il n'a plus la simple destiné du mouvement, il le transcende jusqu'aux limites de ses possibilités motrices. Limites des articulations, rotations des membres, déplacements relatifs les uns par rapport aux autres.

C'est une véritable danse qui se dessine. Une danse automatique puisque le dessin premier ne réside pas dans l'aspect esthétique du mouvement (contrairement à la danse, proche dans la forme mais loin dans l'essence du figuré) mais bien de répondre à une contrainte physique de déplacement. Le corps se dessine lui-même, il faudrait lui attacher des pinceaux pour immortaliser ce trajet qui, bien qu'involontaire, n'en reste pas moins nécessaire.
Ce résultat secondaire, le premier étant de réussir à avancer dans la voie, procure toute la jouissance de ce sport: sentir son corps exécuter une danse qui ne résulte non pas de la pensée en tant que volonté mais d'un mécanisme de toujours avancer, une danse comme artefact du mouvement.

L'impression d'un corps qui ne répond que de lui-même, qui n'est plus soumis aux vicissitudes de la pensée: il ne vit plus par ou pour la celle-ci mais dans une initiative propre, libéré dans l'éternité de l'espace-temps. Une abnégation kinesthésique. (à ne pas confondre, encore une fois, avec la "pensée physique" du domaine de la danse. Ce concept, joliment employé par Wayne MacGregor au cours de ces nombreux travaux avec des spécialistes en neuropsychologie, tend à décrypter le dialogue complexe qui se noue entre le corps et l'esprit des danseurs. Un corps qui se substitue à la pensée mais entièrement conscient de son mouvement).

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