lundi 31 octobre 2011

We need to talk about Kevin

Des pieds, cornus, anguleux, estropiés. Premier plan, on les filme enfilant de grosses charentaises abîmées par le temps. D'entrée, voilà la relation mère-fils dessinée. Aussi noueuses qui les pieds de Tilda Swinton.



Il y a ce rouge, omniprésent, couleur du sang, du sang qu'aura fait couler son fils, qu'elle aura fait couler aussi, par l'intermédiaire de la chaire qu'elle a enfanté. Comment appeler autrement cet enfant qui ne l'a jamais aimé? Dès la naissance, il n'a de cesse de crier rien qui pour l'embêter. Est il un instant imaginable qu'un fils ne puisse aimer sa propre mère, celle qui l'a engendré? Et une mère de ne pas aimer la progéniture qu’elle a mis au monde? Cela ne relève t il pas de l'instinct le plus primaire? N'est ce pas là un fait universel, dans le monde animal également? N'est il pas inné, inscrit dans nos gènes de devoir aimer par lien du cordon ombilical? D'aimer d'emblée, étant né, car bien sûr, après, dans l'univers sociétale auquel tout être humain est soumis, bien des comportements et des circonstances peuvent influencer le devenir d’une relation. Mais d’emblée ? Je pose là le premier instant, le regard qu'une mère porte sur son enfant en le tenant dans les bras, la première fois. Non, ici, c'est le bien le père qui porte Kevin à la maternité. Serait ce alors ce petit oubli qu'Eva devra payer toute sa vie? Plus tard, elle essayera pourtant de se rattraper. Trop tard! Son fils ne cessera de le lui rappeler.

Fils intransigeant, qui n'explique pas, qui ne rationalise pas, comme enfermé dans le cercle vicieux du en vouloir, en vouloir à jamais, en vouloir d'être né, peut-être, tout simplement. Et pourtant, il lui en veut dans l’exclusivité. Futé comme il est, tôt il a sûrement saisi le fait qu'un enfant ne vient pas au monde tout seul, que la mère ne porte pas l’entièreté de la responsabilité de son existence. Cette persécution possessive n’est elle pas la preuve d'un amour absolu envers cette mère?

On peut y voir aussi l’unique relation qu'il entretient avec franchise, sans masque ni mascarade, il se montrerait face à sa mère tel qu'il est, réellement. Il serait donc possible que l'homme, dans sa nature la plus pure soit profondément mauvais? On n'est bien loin de la pensée de Rousseau selon lequel l'homme naîtrait naturellement bon. Cet excès de sincérité n'est elle pas, là encore, la preuve d'amour envers cette mère, la plus profonde et la plus loyale qu'il soit? Ne tue t il pas ceux qu'elle aime pour ne l'avoir que pour lui seul? Son univers social pour ne plus théâtraliser une vie contraire à sa nature qu'il ne permet de montrer qu'à elle seule ?

Ou bien non, il fait ça pour la punir, pour la faire souffrir, pour lui transmettre par le lien du sang le sang qu'il a lui-même maintenant sur les mains. Il savait pourquoi, il ne sait plus. Peut-être a t il fait cela pour couper un cordon ombilical qui n'a pu l'être en temps voulu? Serait ce sa sortie d’Oedipe à lui, une façon de rompre avec ce lien trop puissant, qu'il n'a de choix de faire que brutalement et absolument? Un complexe d’Œdipe mal résolu? Et si le stade anal n'avait pas été dépassé? Question qu'il faut poser lorsque l'on voit avec quelle force récurrente Lynne Ramsay nous montre la bouche de Kevin, cette bouche à l'horreur charnelle, destructrice érotique et plaine de rage, qui contraste si bien avec celle d'Eva, mince, flétrie, sèche et sans vie.

Tuer gratuitement. Cet acte irréparable fait écho à une réalité bien trop tangible, malheureusement. Lynne Ramsay a voulu avec son film se focaliser sur l'origine de l'acte, contrairement à Elephant de Gus Van Sant qui n'en relate que les faits. Mais pourquoi s'acharner sur une origine uniquement maternelle? Commettre un tel massacre ne relève t il pas généralement des causes multifactorielles, familiales certes, mais bien souvent sociales, culturelles, psychologiques, voir religieuses ou politiques? Comment savoir? Pourquoi tout attribuer à une relation mère-fils mal construite? Cette obstination éloigne le fait à démontrer de la réalité, qui croira à ce seul alibi?

Questionnement sur la nature humaine, sur la relation mère-enfant, l'origine de la haine, et l'acte de tuer gratuitement.

mardi 25 octobre 2011

Pudique Acide/ Extasis


Pudique acide / Extasis (recréation) from Karim Zeriahen on Vimeo.

Deux corps. Parfois un et deux. Un instant un ou deux. Quand ce n'est pas un puis deux. Peut -être qu'un, seul, suffirait? Finalement. Choisir un ou choisir deux? Pas de deux. Une chose est sûre, un quatuor orchestra sa conception. Saynètes écoles buissonnières de deux chorégraphes expatriés aux US. Influencés par leurs maîtres, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure ont réussi un mariage antipode, du caractère facétieux et expressionniste de Pina Bausch à l'abstraction de Merce Cunningham.

Comme un combat entre deux acides, il en vient de savoir qui sera le plus fort, lequel participera à la réaction. Ils osent le mélange des genres, androgynie ou gémellité, sans la moindre retenue.  Mimétisme, confrontation, fusion, un jeux de ping-pong illustrant les états d'âme de toute relation, quelle qu'en soit la nature. Aux accents de cabaret berlinois année 30,  Kurt Weill  anime nos deux protagonistes vêtus de kilts, bretelles et coiffures façon Jean-Paul Gaultier. Non, je veux dire tout de costume tutu-imperméable-veste-de-smoking-long vêtus. Du voguing à la break dance, un "à deux" décliné avec acidité, au teint rouge rosé de la pudeur blessée.

Qu'y  font-ils? Ils font ça:


" Certes, je n'ai pas l'ambition d'être un ange, bien que mes relations avec eux se soient améliorées depuis quelques temps. De ma huitième à ma douzième année, j'avais pour habitude de me retirer dans une chambre fermée à clé où je faisais des grimaces féroces, tourbillonnais sur moi-même, les poings serrés, pour mettre mon ange K.O. J'éprouvais pour lui une haine totale. Je suis sûre de lui avoir décroché un coup de pied et d'avoir ensuite mordu la poussière. Impossible de blesser un ange, mais j'aurais été heureuse de savoir que je lui avais sali les plumes. "


Flannery O'Connor - L'Habitude d'être