vendredi 21 mai 2010

"Soufflant sur d'invisibles grains de poussière..."

On pourrait penser, comme ça, de prime abord, que Munich, avec ses rues proprettes, aux façades lubrifiées, ses bavarois etepetetes à la chevelure gominée et au sourire gibs figé-contrarié, avec ses voitures Daimler nickelée-chromée-moteur DB600, serait loin d'être la ville la plus funky d'Outre-Rhin. A moins d'être femme d'un avocat d'affaire retraité collectionnant des services à thé en porcelaines de Meissen, on attribuerait volontiers qu'un enthousiasme ulcéré pour la bière et la panto-manie germanique à qui souhaiterait s'y établir. En un mot, elle serait vieux jeu. De prime abord.

On se fourvoie.

C'est une ville aux charmes cachés. Au détours d'un feu, un évènement réagissant à une logique loufoque et décalée, une surréalité conceptuelle apparaît, en peu comme dans les livres "à la Vian".

Voici donc quelques trouvailles, qui font de Munich un authentique "électrolore" (m'étant impossible de recréer une ambiance par le simple jeu de l'écriture, je laisse la musique s'en charger):


_ ses cinéma-théâtres: on entre, un théâtre, on s'assoit, un théâtre, le rideau s'ouvre, un écran. Le film se met en scène, lui-même. Comme redouter à chaque instant qu'un de ses personnages n'en sorte, guidé par vos émois, une Rose pourpre du Caire... Tivoli-Theater, Teatiner-Film, Filmcasino, Theaterfilm Sendliger Tor ...Werkstattkino, sans doute le plus conceptuel: Im Keller, avec sa boîte à caisse, ses cinq fauteuils tout droit sortis de chez Eddie's Shoe Repair du Grand Central terminal, son rideau rouge sang et son écran guimauve (ici même a été projeté un film d'une abjection magnifiquement mis en scène)

_ ses cafétchen poufins. De ces petites tables 20cm de haut le long des trottoirs avec poufs, coussins, couettes en diverses poils et fourrures. Et on s'y assoie comme chez soi pour fumer le calumet de la paix avec un pote à la chevelure hirsute. Le concept du banc. On observe, on regarde, on rend-conte. Nothing personal... Les plus connus: Schall und Rauch, Celomena, Maxim's

_ ses activités sous toits: Ludwig Beck et son greniers jazzy-classico-rock, la Glodenspiel au décolleté plongeant sur la Frauenkirchen...en apesenteur, wie der Himmel über München

_ ses stations U-S-Bahn: Rosenheimer Platz jaune, Isator verte, Marienplatz Orange....Et si elles souffraient de synesthésie, elles aussi? Mais surtout, leurs voies pré-enregistrées, allant de l'extase d'une intonation poussée sur un i "Mariiiiiienplatz", à la sublimissime mélodie d'un "Bitte zurück bleiben"...

_ son Cord Club et son petit salon rétro, ses projections d'Olive et Tom sur des Uchiwas géantes, sa tonnelle "bubblies after midnight" et son incontournable Mr. AM to PM qui, sous ses aires de Monsieur Hulot en vacances, fait bouger nos corps n'importe comment sur Frittenbude ou Ergotonic

_ son marchand de glace italien Ballabeni, et ses sorbets tutti fruti rose-poire-rhubarbe-maracuja-ananas-orange-campari. Et un Chocolat bitter qu'on vient prendre jusque tard dans la nuit...

_ ses Victoria-Houses: cachées, ça et là, aux intérieurs si britisch, à l'odeur si à-cinq-heure-l'heure-du-thé-chez-grand-mère, ses scones chaperon-rouge et ses thés à l'entropie refoulée (Treibhauseffekt).

_ son oper, ma deuxième maison, sa chic façon de me donner des places premier rang pour deux sous, de me faire courir pour attraper mon train, toutes ses représentations autant éblouissantes qu'indiciblement abstraites et ses hôtesses d'une amabilité dont elles seules portent le secret.

Comme la rencontre fortuite avec un sac "l'écume des pages" ou l'amalgame hétéroclite de Löwenzahnen, sponsored by destinity...

lundi 10 mai 2010

Die welt ist bunt!

Voyez vous, j'ai découvert la chose plus abracadabrante qui puisse arriver: je suis SYNESTHETE. Hier, en cherchant une broutille sur Vladimir Nabokov, j'ai découvert qu'il l'était, et par là même que je l'étais aussi, bref, que nous l'étions. Moi qui n'avais jamais su mettre de mot sur ce phénomène tant coutumier que baroque. Merci Nabokov!

Débroussaillons quelque peu ce vilain mot avec un exemple approprié.
Connaissez vous la comptine Buvons un coup ma serpette est perdue?

ça donne à peu près cela:
«Buvons un coup ma serpette est perdue,
Mais le manche, mais le manche,
Buvons un coup ma serpette est perdue
Mais le manche est revenu.»


Bon, après faut faire les variantes en interchangeant les voyelles A, E, I, O, U, OU, É, È, OI, UI, OUI, AN, IN, ON, UN, OIN… Je sais pas ce qu'on pourrait trouver encore (l'allemand aidant: Ö, EI, EU, AU)

Donc voilà: cette chanson change de couleur avec les voyelles. Avec, A elle est violette, avec E elle est jaune, avec I elle est rouge, avec O bleue, avec u vert-bleue, etc...

Magique, non?! J'ai un kaléidoscope intégré au cerveau!

Revenons à une explication un peu plus rationnelle.
Le mot « synesthésie » viendrait du grec, syn, « avec » et aisthêsis, « sensation ».
Ce qui nous amène à la définir ainsi « la synesthésie est une condition neurologique dans laquelle la stimulation d'une modalité sensorielle provoque d'inhabituelles expériences dans une autre modalité sensorielle, non stimulée. ».
Le cerveau aurait pour ainsi dire la capacité d'associer au moins deux réponses sensorielles à un stimulus. Par exemple, certains synesthètes qui entendent une note de musique, associent automatiquement et constamment une couleur particulière à cette note. Les scientifiques dénombrent plus de 152 dénombrées synesthésie différentes.

Non, je ne vais pas m'attarder sur les 152, j'ai un chabus à prendre demain. Arrêtons nous aux principales:

_ « la synesthésie graphème-couleur » (les différentes lettres ou nombres apparaissent teintés de différentes couleurs),
_ « l'audition colorée » (les sons évoquent des couleurs),
_ « la synesthésie nombre-espace » (les nombres sont associés avec des localisations précises dans l’espace).

Quelques raretés:

_ « la synesthésie lexicogustative » (les mots individuels ainsi que les phonèmes du langage parlé évoquent des sensations de goûts dans la bouche),
_ ou encore « la personnification ordinale/linguistique » (des séquences, comme les nombres, les jours de la semaine, les mois et lettres sont associés avec des personnalités).

J'ai entendu dire qu'environ 4% de la population était touché, et 1 sur 2000 pour les plus rares.


Comment ça se passe dans le cerveau? La théorie de l’« activation croisée » (cross activating) nous en dit long: entre deux régions voisines, les neurones s’échangeraient des informations alors qu’ils ne le devraient pas. A la base, on le serait tous jusqu'à l'âge de 3/4mois . Durant les trois premiers mois, le cerveau étant encore immature, les informations arriveraient en vrac et seraient interprétées par tous les sens simultanément. A partir de trois mois, l'organisation des perceptions sensorielles se stabiliserait. Mais, pour certains individus, des causes génétiques seraient à l'origine d'un « mauvais câblage » entre différentes zones du cerveau, entraînant l'apparition d'une synesthésie.

Voilà, je serai donc mal câblé...

Toujours est il que la mienne est avant tout graphème, les jours de la semaine ont chacun leur couleur, les mois aussi, la gauche est rouge, la droite est bleue (indépendamment des partis, entendons nous), les notes de musiques sont une palette, les prénoms, teintés, et les différentes périodes de ma vie oscillent entre éclaircies et obscurités. Quant aux lettres, seulement les voyelles sont concernées.

Petite particularité: les mots ont un caractère, ils sont plus ou moins «agressifs». Soit arrondis, soit anguleux. Ce qui fait aussi qu'un même mot peut avoir différentes couleurs et différentes formes. Prenons l'exemple d'hémorroïde (je le répète, le plus beau mot de la langue française): il est arrondi à ses extrémités, anguleux au milieu, un début jaune, un milieu bleu, et une fin rouge. C'est beau n'est pas? J'ai peur que «terrible» me morde...

Quelle histoire! Et moi qui pensais que tout le monde voyait les choses ainsi, apparemment non.

Et vous autres, auriez vous aussi une palette de peinture dans le cerveau?