samedi 19 mai 2012

Faut il imaginer Sisyphe heureux? Critique du film "The Day He Arrives" de Hong Sangsoo

Cinéaste à la retraite, notre protagoniste revient à Séoul, la ville de ses débuts, de ses premiers amours, pour revoir de vieux amis. Le temps des réconciliations, des retrouvailles, des vieilles rancœurs. Reconnu, admiré ou délaissé, il ne passe pas inaperçu ici, dans son quartier. Et pourtant, il se sent comme perdu. Il se sait marcher sur des ruines. Peut-être espère t il une reconstruction ? Ou, pouvoir édifier quelque chose sur ces vieux soubassements ? Il se revoit, rejoue les mêmes scènes envers et contre lui, comme un nouvel essai, espérant repartir là où il avait laissé sa vie. La mélodie d'un cadre, des situations identiques, il sait pourtant que jamais rien ne sera plus comme avant. Il s'empêtre avec lui-même, ses façons de faire qui le ramènent toujours aux mêmes dénouements, à répéter des conduites, des échecs. Un éternel recommencement. Quel est donc cet inconscient qui nous entraîne vers la répétition, à rejouer les mêmes scènes tout au long de notre vie ? N'apprenons nous rien de nos erreurs ? Qu'est ce qui nous pousse à refaire ce qui nous a fait, ce que l'on sait qui nous fera souffrir ?





Des rencontres, des hasards, l'ironie du sort. Hasards innombrables et inéligibles sur lesquels se raccrochent des petits bouts de raisons : et nous concoctons une explication. Car il en faut une. Comment notre entendement raisonnable peut il concevoir un illogisme aussi vertigineux que de se savoir sous l'emprise d'un hasard indifférent à son sort ? Comment, évidemment ne pas chercher une logique, un fil conducteur qui nous ramènerait à notre raison ? Si cela se produit, il y a bien une raison ? Une volonté qui guide mon intuition ? Non, le hasard régit toute chose que nous vivons. Pour éloigner cette vertigineuse réalité nous nous contraignons inlassablement à tourner en rond, pour reproduire enfin de compte ce que nous connaissons, pour éloigner ce hasard qui fait peur à notre raison.
Impossible de ne pas faire le rapprochement avec Marguerite Duras et son livre « les yeux bleus cheveux noirs ». Un cinéaste qui tente de planter un décors, dont l'inventaire se perd dans la répétition, et un couple séparé ensemble dans ce cadre à répéter sans cesse les mêmes gestes, à s'échanger les mêmes paroles, en évitant de se toucher pour ne pas se blesser, quand le hasard d'une rencontre devient un piège au passé.



mercredi 2 mai 2012

Des fleurs pour Algernon, l'énantiomère. Critique du film "Je suis" d' Emmanuel Finkiel


Se réveiller dans un monde devenu étranger, se trouver incapable de le sentir, de le ressentir, d'échanger avec lui. Isolement total, souffrance d'en avoir conscience, et lutter, lutter toujours pour retrouver le passé, la faculté à communiquer, à se mouvoir, renaître sans avoir eu conscience d'être jamais né.



Emmanuel Finkiel a choisi de s'interroger sur le sens du mot vivre lorsque, suite à un accident cardio-vasculaire, on choisit de se réveiller. A travers trois patients, creuse les délicates questions de ce renouveau à la vie, tente de comprendre comment se mêle identité et conscience du monde pour le nouvel arrivant. Nouvel arrivant qui ne sait bien souvent plus comme appréhender l'univers qui s'ouvre à lui.
Pour une broutille (comme la réparation d'une balançoire) ou un hasard de circonstance(comme celui d'un mal de tête à l'acuité soudainement accrue), sans avertissement c'est un mal qui vous foudroie impunément. Et vous voilà plonger dans un état végétatif profond, maintenu en vie artificiellement, sans savoir quelle fin il y aura, et si fin il y a. Se réveiller un jour, s'être battu aveuglement sans connaître l'issue qui vous attend, dans quel état et pour combien de temps. Cette toute première bataille ne sera que prémices à une série bien plus ardue, cependant que subjectivement rien ne vous assure que ce choix sera le bon. En filigrane, sans tenter d'y répondre, le film ose se poser la question.
Réapprendre tout, jusqu'à marcher. Quand chaque mot prononcé devient un défit, quand chaque pas relève d'un effort surhumain. Surhumain semble le monde des hommes à ces êtres devenus un chemin, de soi à celui des humains. Pas à pas, les progrès se font palpables, la conscience aussi, et la souffrance de se savoir amoindri. Comment continuer à espérer quand les limites de votre entendement sont si perceptibles, qu'en toute lucidité votre capacité à discerner se trouve dépassée ? Etre juste à la frontière pour en avoir conscience. Conscience que des connections doivent être faites, là, maintenant, mais ne peuvent se former, qu'un englobement, qu'une simultanéité, que l'émergence d'une idée doit se produire mais ne peut accoucher. Comment, en sachant cela peut on faire pour continuer, et vaincre? Tel avancer dans le noir sans jamais être sûr d'atteindre l'interrupteur, qu'il y en ait bel et bien un.
Et le plus dur, se montrer à autrui, à sa famille, s'accepter soi-même. Comment trouver la force quand son enfant ne nous reconnaît plus, quand il se détourne de nous par peur, quand l'indifférence seule nous rattache l'un à l'autre? Comment se regarder dans le miroir et voir son corps complètement déconfit, en véritable pantin désarticulé? Comme accepter une image tellement peu soi quand bien même les maigres souvenir qui nous reviennent ne s'y reconnaissent pas? Plus qu'un immense courage, qu'une rage de vaincre, c'est une lutte pour la survie infiniment supérieure à celle de Darwin, un mécanisme cérébrale plus fort que l'entendement et la raison.
Emmanuel Finkiel, sans voyeurisme ni mélodrame, nous montre que oui, cette faculté miraculeuse existe, que l'on peut se relever si on parvient à une chose: se cramponner à ce qu'il reste de vie. Sa caméra se déplace lentement dans les couloirs de l'hôpital, navigue entre les portes, comme autant de méandres, de cloisons, d'obstacles qu'il faudra franchir. Comme une caresse sur les visages des victimes, elle se rapproche de leurs yeux pour mieux en saisir l'âme, désespérément enfermées dans un corps qui ne veut plus d'eux. Car l'humain est toujours là si bien caché qu'il soit. Un regard, un geste et l'espoir surtout de toujours s'accrocher. Une leçon de vie, de survie, de lutter contre soi-même, pour soi-même et le rappel en catimini, que non, hélas, cela ne touche pas qu'autrui.