mercredi 27 avril 2011

le prétexte de la goutte de bière

Je viens de voir Hiroshima mon amour. J'en suis toute bouleversée. Comme à chaque fois lorsque Marguerite.

L'amour, je n'y ai jamais cru. Ou plutôt, je n'y crois plus. "No more love for Celestine". Une croix qui a rayé tout mon être. "Ca n'existe pas, ni le temps d'en vivre, ni le temps d'en mourir", comme dirait Nevers à Paris . Une peur d'annihiler le soi et de retomber dans l'abîme du rien, souvenir de jeunesse...

D'où vient donc ce formidable adage sur un amour qui se devrait d'être doux, merveilleux et mystérieux? D'où ce piédestal prétentieux avec soi-même? Croire en cette vision n'est pas plus original que de dire qu'on aime les chats. Peut-être torture t on les gens pour leur faire dire cela? Ou bien n'est ce qu'un moyen de légitimé le mariage, de magnifier son conjoint pour pouvoir le supporter vie entière? Le cliché est sans doute nécessaire pour le concevoir dans toute sa durée, c'est un peu comme la religion en fait." l'amour est devenu un ready-made que chaque amant doit avaler". Les représentations populaires de l'amour ne sont que duperies. Il est bon de savoir que, non, il n'y a rien de doux en cela. Il s'agit seulement d'un accident de route, d'une maladie qui peut vous bouffer en entier.

Ce sont les tripes qui se nouent, la chaleur dans la froidure la plus vive, l'impression d'étouffer en respirant pleinement, l'envie de mourir et de vivre en même temps, être là et ne plus être: être hors. Mais surtout se demander si c'est bien ça, essayer de comprendre sans pouvoir jamais.

J'ai plus d'une fois dit non, ce ne peut pas être, ce n'est pas, ce ne sera jamais. Mais à chaque fois, alors que l'oubli est s'installe, tu reviens, comme une ritournelle. Le reste passe, disparaît, je n'en veux plus, seul toi survie à mon insu. Imposant, imposé. De grès? Que dois-je penser?

Seulement voilà, quand bien même le oui serait, de quel droit puis je en attendre le retour? Ce perpétuel questionnement, de la sordide jalousie naît l'angoisse débordante, une obnubilation démesurée à laquelle je ne puis me résigner. Je le sais, je ne suis rien et suis mille femmes à la fois, un bout de femme parmi la multitude. Unicité, j'en ai conscience, mais pourquoi? Comment alors renoncer à sa prévalence? Comment concevoir un détachement voulu sans être noyé dans l'armada de la chaire? Pourquoi ce don de la conscience si personne n'est là pour vous renvoyer son reflet? Le vertige du dépassement du décor nécessite le regard d'autrui pour éviter l'effondrement qui ne permettrait plus de jouer jamais. Une femme qui connaît les limites de sa suffisance, voilà ce que je suis.

Le pire, c'est que je doute encore.
Comment le dire? Je me trompe.

jeudi 14 avril 2011

L'aile du cygne

"_ Regarde, dit-il en lui montrant, sur son avant-bras droit, de profondes crevasses et une plaie purulente et sanguinolente.
Tu sais ce que c'est? demanda-t-il, en appliquant son front contre celui de la petite. Elle sentit son haleine avinée.
[...]
_ Non, répondit enfin la petite. Je ne sais pas.
_ Le soleil, dit-il, le souffle court contre son oreille. C'est lui qui m'a bouffé le bras. J'ai marché bras nus cet été et ce cannibale-là a voulu déchiqueter ma chair de ses rayons voraces. Il les a enfoncés comme des fourchettes dans ma viande cuite.
[...]
La petite considéra le bras et elle eut envie que l'homme lui prenne brusquement la tête de son autre patte, qui engloberait facilement tout le crâne, les doigts rejoignant les oreilles, qu'il lui enfonce le visage dans sa chair tordue, brûlée par le soleil, à lui en faire perdre le souffle et qu'elle referme sa mâchoire sur sa blessure, en faisant filtrer le pus entre ses dents comme de la graisse jaunâtre. Toute saisie d'avoir eu cette envie impulsive, l'estomac convulsé, elle en eut la nausée et fut sur le point de dégobiller, mais en même temps son esprit s'envola vers un recoin crépusculaire où régnaient la volupté et une suave tiédeur aux effluves de vin aigre-doux et d'estomac vide. Elle se leva.
_ Ne me quitte pas, implore l'homme, l'agrippant d'une main lâche. Je vais t'en dire plus sur le soleil.
[...]
La petite s'éloigna de la tente très lentement de façon à pouvoir regarder à l'intérieur le plus longtemps possible. Les femmes avaient commencé à rassembler les tables dépouillées de leurs nappes. L'homme était toujours assis à la grande table dénudée. Il appuyait son poing fermé à sa tempe et la suivait des yeux, ou du moins, c'est ce qu'il lui sembla.
Lorsqu'elle arriva à l'enclos aux chevaux, elle eut le sentiment que l'angoisse de l'été, le désir et le vague malaise auxquels elle était constamment en proie quitteraient son corps pour passer dans celui de l'homme trapu et dérangé au bras mordu par le soleil, si elle y plantait ses dents en imagination. Elle décida donc de garder le bras arqué toujours présent à son esprit, rien que pour y faire passer l'angoisse en mordant à pleines dents dans la plaie sanguinolente qui ne se cicatrise jamais."
L'aile du cygne, Gudbergur Bergsson

dimanche 10 avril 2011

"Tanzt, tanzt...sonst wir sind verloren"

Pina. Simplement. L'intensité de gestes insignifiants. L'esthétique du quotidien: du théâtre dansé.
Mais d'où cette force tire t elle sa puissance? d'où ses gestes peuvent ils engendrés une telle vague émotionnelle à l'intérieur de l'âme? Comment se fait il que le ressentit soit si intense?

Le danseur pour rendre un mouvement, si anodin soit il, se doit non de le reproduit bêtement, mais de le vivre de l'intérieur, de le sentir. Or comment arriver à mimer toute la facticité de la chose sans en laisser paraître le doute du non être? Il faut se l'approprier par le vécu, renouer avec l'expérience empirique du passé. Marché un pied plat un pied pointe sans jambe de bois, pourquoi ne pas penser à soi essayant une paire de chaussures à talon chaussé du pied que la vendeuse a bien voulu vous donner à la recherche du miroir? La légèreté du corps, pourquoi ne pas penser aux algues se balançant au grès des courants? Ou bien enfant s'amusant dans une piscine à boule? Évidement chacun des danseurs aura son modèle, son expérience personnelle, le résultat se doit d'être identique mais le modèle de la pensée lui est unique. Et c'est magique: sans cela, l'intensité et la vibration de l'âme sont absence, avec tout est là, il n'y a plus rien à dire. Quelle marée de souvenir doit alors traverser l'âme du danseur! Quel débit d'images doit affluer dans sa tête! Par quel trajet de mémoire doit il passer! Que d'émotions refoulées doit il faire remonter! Si intense doit être l'état de son âme à un instant donné!
La magie de la danse au quotidien, Pina a réussi à magnifier le petit chose de la banalité.

Vollmond, Café Müler, Kontakthof et le sacre du printemps. Quatre pièces magistrales articulant le film entrecoupé par des bribes de témoignages des danseurs de sa troupe et, de quelques petites scènes écrites par elle, de eux à elle. Ce sont ces dernières qui sans doute ont le plus de cachet (caché).