jeudi 5 janvier 2012

Les crimes de Snowtown


"Les crimes", cela pourrait faire penser à un film policier version triller contemporain, course poursuite opposant les gentils et les méchants, le bien et le mal, le tout blanc et le tout noir, une sorte de caricature de la morale judéo-chrétienne bien pensante, à la réalité lissée, à l'analyse gommée, à la complexité épurée. Et bien, il n'en est rien. Ce titre tend plutôt à erroner le dessin premier du film qu’à en valoriser son contenu, à savoir de montrer comment un certain contexte social et économique peut conduire les individus à perdre toute notion de bien et de mal, comment un telle situation peut amener à en inverser/modifier les rapports de force, et comment, l’individu alors sans repères, est soumis à d’inextricables conflits avec son propre ego pouvant l'entraîner à accomplir le pire. Justin Kurzen scrute avec ce deuxième film les méandres des origines du mal.






Fait divers en Australie au nord d'Adelaïde au sein d’une communauté blanche malmenée par la pauvreté, la violence, les abus sexuelles sur mineurs, la drogue et la criminalité. Jamie, adolescent un peu paumé et timoré est ce que l’on appelle un faible. Il se fait abuser sexuellement par son frère aîné et par l'ami du quartier qui vient garder ses frères sans jamais bronché. Un jour, John Bunting entre dans sa vie, s’immisce dans celle de sa mère et de ces trois frères. Joviale, charismatique, sûr de lui, avec une bouille de poupon à l’appui, qui pourrait se méfier de lui ? Il dénonce avec verve les abus pervers, tel le messie justicier que tout le monde attendait, il impressionne son auditoire lors d’happenings improvisés à l’heure du thé. Tel un catalyseur, il fait remonter toutes les haines et les blessures que chacun s’était contraint de refoulées, faute d’interlocuteur approprié. Car hélas, la justice est la grande absente dans ce pauvre quartier. On ne la voit intervenir qu'une seule fois, lorsque la mère de Jamie porte plainte pour abus sur ses enfants. Le coupable sera relâché le jour suivant. Si cette justice avait su prévoir les conséquences de son inaction !
Petit à petit, la déviance s’opère. John s'en prend aux violeurs d’abord verbalement, puis physiquement pour ensuite vouloir les éliminer. Élargissant sa palette de « coupables », il s'attaque à toutes les personnes qu'il juge détraquées, non indispensable à la société. Et voilà comme 12 personnes furent assassinées.

Si la justice fait mal son travail, pourquoi ne pas la faire soi-même? Doit on laisser la dignité de centaine d'enfants se dégrader, là, sous nous yeux, sans broncher? N'est pas intolérable que de penser, en son absence, ses enfants abusés par des hommes qui vivent deux maisons plus loin, qui marchent dans la même rue que la nôtre, qui côtoient nos supermarchés et nos parcs? Ne sommes nous donc pas complices de ces crimes par notre inaction, nous plus que quiconque qui sommes conscients de ces délits? Là se tient le discours de John devant son auditoire. Jamie, admiratif devant tant de courage et de persévérance, devant ce justicier de la cause des opprimés, voit en John la figure de l'être qu'il ne sera jamais et de celle du père qu'il n'aura jamais eu. Lui même victime de ses atrocités, c'est avec légitimité qu'il acceptera de suivre John, de participer à sa quête de justice.
Mais que faire quand ces paroles héroïques se transforment en crime? Non seulement en crime mais en acte de torture? Comme un claque en pleine figure, Jamie ouvre les yeux, se rend compte des abus de John, de l'horreur de ses gestes, notamment lorsque celui ci procède au meurtre de son ami d'enfance qu'il juge détraqué car drogué, puis de son propre frère qui l'a abusé. Insupportable est l'image de la torture à ses yeux, si bien que pour la faire fuir, il décide lui-même d'en finir et se retrouve alors propulsé de l’autre côté, celui du meurtrier. Mais que faire, dénoncer John à la police au risque de le voir libéré le jour d'après? Et quelles ne seront pas les représailles qu'il devra endurer! Mais le laisser faire, n'est ce pas s'enlever toute forme d'humanité, se faire meurtriers contre son grès?

Choisir le père dans la figure du diable. Dans un contexte social où tout horizon est banni, où les repères sont inexistants, où chaque destin est déjà tracé, où toute transcendance semble illusoire, comment ne pas être happé par une figure qui semble vouloir vous aider, vous sortir de cette médiocrité, vous éviter souffrance et humiliation. Alors que la justice s’attache à choisir un camps, celui des riches, comme éviter ce ralliement inévitable quand la figure d’un justicier s'impose dans celui des pauvres, que se sent plus que délaissé? Comment éviter l'effacement des limites entre notion de bien et de mal, quand les autorités en charges de les dessiner se font absentes? Comment la notion de loi peut elle être respectée si la dignité même de la personne ne l'est pas?

A la fin, on apprend que Jamie à lui aussi était condamné : 26 ans de prison. Il se pose alors la question de savoir si l’on peut être coupable de sa faiblesse? Etre coupable d’être faible par nature? D'avoir été abusé, physiquement puis psychiquement? Aurait il pu échapper à cet embrigadement? Il avait le choix de continuer à se faire violer, d’être lui-même tuer ou bien de devenir complice de meurtrier. Il choisira la troisième possibilité. Mais qui pourra dire que ce fût la bonne ou la mauvaise?

Le grain grossier de la pellicule, les longs plans-séquences de paysage désertique et le rythme d'une musique oppressante et répétitive donne au film un caractère cru et terriblement réel. Justin Kurzen nous livre ici un film fort et éminemment politique sous le regard unique d’un enfant égaré.