mercredi 4 mai 2011

cas d'oignons

"_ [...] Vois tu, on a des battements de coeur lorsqu'on est à la veille d'une joie particulière, ou au contraire lorsqu'on redoute quelque chose, bref lorsqu'on a des sentiments agités, n'est ce pas? Mais lorsque le coeur bat de lui-même, pour ainsi dire sans rime ni raison, et comme de son propre chef, je trouve cela étrangement inquiétant, tu m'entends bien, c'est à peu près comme si le corps allait son propre chemin et n'avait plus aucun rapport avec l'âme, en quelque sorte comme un corps mort qui, en fait, ne serait pas précisément mort - cela n'existe pas - mais qui mène au contraire une existence tout à fait active et indépendante: il lui pousse des cheveux et des ongles, et à toutes sortes d'égard encore, physiquement et chimiquement, il y règne en somme, autant que je me suis laissé dire, une activité tout à fait joyeuse...
_ Qu'est ce que c'est que ces expressions? dit Joachim avec un accent de blâme réfléchi. Une activité joyeuse?"
" Mais c'est ainsi! C'est une activité très mouvementée. Pourquoi donc cela te choque-t-il? demanda Hans Castorp. D'ailleurs, je ne signalais cela qu'en passant. Je ne voulais pas dire autre chose que ceci: comme c'est inquiétant et pénible que le corps vive et se donne de l'importance, de son propre mouvement et sans rapport avec l'âme, ainsi c'est le cas pour ces battements de coeur sans motif. On est amené à leur chercher un sens, un état d'âme qui leur corresponde, une joie ou une peur qui les légitimerait en quelque sorte - du moins c'est ce qui m'arrive, je ne puis parler que de moi."

La Montagne magique, Thomas Mann

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