- Je me suis rendue au Marché Saint-Pierre, temple du tissu et de la couturière. Étoffes diverses et variés, tulles, jutes, soies, damassés et toile de Joui. D'un regard tactile sur tous ces rouleaux à l'entrée, et me voilà projetée dans l'univers barriolé de Dreyfus Déballage du Marché Saint-Pierre. Vendeurs au garde à vous, maître de mesure au allure de baguette à polissonner, calepin et ciseaux à la main. Sévère même dans la coupure de leur tissu. Des lettres d'imprimerie bleues ciel sur le murs sont présentes, comme les rappels d'une maîtresse à ses écoliers indisciplinés: "nous ne donnons pas d'échantillons","Prier de laisser du tissu en quantité suffisante pour confectionner une robe". Et cependant, malgré ce cadre très ordonné, se dresse le grand déballage, rouleau après rouleau, se présente éparpillé, comme une garde robe que l'on viendrait de faire tomber: un véritable univers boltanskien! Parquet de bois, liftier (le dernier!), un intérieur rétro qui procure un ardant désir de s'acheter des rideaux de soie feutrée (j'ai failli en acheté), un méli mélo qui donne envie de bain de tissus, de sentir sous sa main les étoffes, comme le sac de graines du marché dans lequel on ne peut s'empêcher de glisser la main.
- J'ai fini par arriver à sa Halle, s'y exposait Hey! Modern Art & Pop Culture. Cocktail Molotov de darkness joviale et décomplexée, de l'enfer boschien au cabinet de curiosité. Etranger que cette ensemble si noir d’apparence laisse émaner un si profond sentiment de gaîté et de vie. La satisfaction d'avoir dompter ces phobies ou simplement d'avoir réussi à jouer avec la noirceur du monde? On pouvait y voir cette charmante collection de figurines en porcelaine victoria (étrange est la ressemblance avec celle de ma grand-mère écossaise!), habillées pour aller au bal. Ou encore, les Reliquaires et autres bocaux de Murielle Belin qui recommande de les suspendre pour égayer votre appartement si le soleil s'avérait trop aveuglant, ou, de les poser sur la cheminée du salon, la couleur orangée des flammes en soulignera davantage les solutions entachées. A moins que vous ne préfériez les posters tragédies-de-la-vie-en-couple si chers à Véronique Dorey? Une part de gâteau peut-être? Attention, c'est bien eux qui pourraient vous dévorer! Une obsession du corps sadisé, surérotisé, transformé en bête ou en comestible, d'une agressivité punk aux traits d'une ironie fracassante, boudinée par des détails de ciseleur, un ensemble d'artiste qui n'a pas peur de se dévoiler, de montrer à tout va la totalité de ses tics et de ses tocs. Dommage que le maître en la matière en ait été absent!
- Pour couronner le tout, une pièce de théâtre au théâtre national de Chaillot, la plus désinvolte qu'il n'y est jamais eu: "Au moins j'aurai laissé un beau cadavre" de Vincent Macaigne, adaptation déjantée et profondément moderne du Hamlet de Shakespeare.
Oeuvre bouillonnante, qui n'en finit pas de crépiter comme une bougie d'anniversaire magique, un feu d'artifice qui ne s'arrêterait jamais, une sorte d'entité vivante en pleine division cellulaire incontrôlée: une tumeur maligne. On en sort l'esprit ravagé! C'est une pièce qui a la spécificité d'allier performance et théâtre, où l'action ne se limite pas à la scène mais intègre l'ensemble du bâtiment "le théâtre" (les acteurs jouent partout, à travers les rangées, derrière nous, au dessus, au dessous, dans les coulisses on les entend, même pendant l'entracte sous le regard illuminé de la Tour Eiffel on les surprend!), où l'improvisation n'est jamais loin (engueulade avec la régi son en pleine tirade), où le spectateur est un acteur à part entière qui joue (petite danse à l'arrivée, morceaux d'ananas distribués, des sacs à main troqués), subit (projectile d'hémoglobine, eau boueuse et serpentins. Heureusement qu'une bâche en plastique a été fournie au premier rang!), est pris perpétuellement à partie. Champ de bataille de corps et d'idées, où l’on vomit et ravale et digère le temps et les choses. « Hamlet, faut que ça saigne »!
Il faut toutefois préciser cette petite particularité: une entracte "Ti amo" lancé en boucle, résonnant jusqu'au fond des toilettes, et si magistralement accordée au scintillement de la tour Eiffel trônant face à la baie vitrée du hall d'entrée. Comment ne pas y voir le summum du kitsch, un générique de Walt Disney ou d'un de ces vieux films à la guimauve, un cliché pour touriste? Non, c'est un exprès, un baume au coeur après cette première partie où les acteurs n'arrêtent pas de crier, de gueuler, de s'engueuler, de parjurer, de cracher sur l'homme et son humanité, un exprès qui vous emplie d'un profond sentiment de gaîté, d'un élan de compassion envers vos paires, pour prendre conscience, pour vous dire que malgré tout, l'altruisme ça existe bel et bien, parfois oui, du moins le temps d'aller vider sa vessie.
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