dimanche 20 novembre 2011

Il était une fois en Anatolie

Noir et blanc. La nuit et le jour. Un film découpé entre rêve et réalité.



Première partie, il fait nuit, à travers les plaines d’Anatolie, à la recherche d’un cadavre enfoui. Où ? Là est la question. Plein phare, un convoi de 3 voitures, pleines à craquer de tous les figures de la société: représentant de l’état, médecin, commissaire, militaire, assassin, mais aussi techniciens, bureaucrates, hommes à tout faire et conducteurs, à la queue leu-leu sillonne la contrée dans la plus totale solitude. L’assassin, n’est plus sûr, il a su ne sait plus : dans un champ plat avec un arbre en boule près d’une fontaine. Voilà l'unique indice du lieu du crime qu'il faut retrouver. Il n’y a plus qu’à fureter ce paysage désertique où chaque virage ressemble au précédent, chaque vallonnement au suivant. Et plus profondément encore ils avancent dans la nuit, le bruit du vent et les grondements du ciel capricieux berçant leur pas enclin à l'ennui et à la fatigue dans cette longue cavalcade qui semble ne plus avoir de fin. Seule la lumière des phares donne à voir. Comme des enluminures, des feuilles d’or sur des boiseries, la couche de brillant au jaune d’œuf en pâtisserie, un studio pour séance photo, une scène de théâtre à l’éclairage feutré. Un décor plus plastique qu’organique, qui fait ressortir un choix de détails ciblé, où chaque visage devient histoire, où chaque aspérité, ride, ridule, se montre décomplexée. Ce jaune sur les visages fait penser à la série des Dresdner Frauen de Baselitz, têtes maculée de cette même couleur où les formes extériorisées par nature (nez, lèvres, pommettes, le remplissage des orbites oculaires) deviennent formes intériorisées, renfoncées dans un visage jauni, artefacts cachés et traits de personnalités jugés bons de vouloir cacher. Les marques du visage se suffisent: toute la lassitude du monde s'y trouve dessiné. La caméra n'est qu'un moyen de faire deviner l'âme sous le corps, jusqu'à ses blessures et flétrissures, simplement, à fleur de peau.

Point de coupure, un interlude dans les ténèbres. Le premier: un train qui soudain traverse la vallée. Un appel du monde des humains, une guirlande sur un sapin, une enseigne de magasin, un message en morse, une étoile qui file en discontinu. Aucun souhait n'est plus à envisager. La seconde, chez le maire du village pour se restaurer. L’une des plus belles scène qui soit filmée : une coupure d’électricité restitue soudainement l'intégralité de son noir à la nuit. Tel un spectre merveilleux, la fille cadette a attendu ce signal pour enfin apparaître, passant de bonhomme en bonhomme assoupis sous l’assommante méditation postprandiale. Éveillés par la rare lumière de la lampe à l’huile qui trône sur le plateau parmi les tasses de thé, une icône sortie tout droit de leur rêve se dresse au dessus de la flamme face à eux, comme le cierge à une madone dans une chapelle inondée de céleste sobriété. Tableau d'un langage silencieux, chaque visage exprime son ébahissement, surpris par le charme surnaturel de cette fillette, brève utopie d’un rêve devenu réalité. La lenteur se fait sentir, une lenteur qui laisse le temps au récit, rendant la force des silences semblable à une autopsie.

Le jour arrivant, c’est bien elle qui a lieu, car le corps enfin retrouvé, est chargé et ramené à la ville. Bruit de chaire que l’on découpe, bruit de scalpel qui déchire, écoulement, giclement, froissement des tissus et des fluides corporels. On la voie en écoutant. Elle signe une fin brutale, arrêtée sur des fragments d'explication à l'image de ceux du corps autopsié, laissant le spectateur choisir et interpréter. Une obstruction du dénouement, continuant ainsi ce fabuleux voyage au bout de la nuit et de l'obscurité, dans les entrailles de l’humanité.

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