dimanche 11 novembre 2012

Et comment vas tu vivre ton tiret du milieu ?

«Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Or, quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme lui aussi pénètre en toi.» Nietzsche





La part sombre de l’âme est un thème qui obsède Werner Herzog. Avec Into the Abyss, il photographie sans filtre l’Amérique dont on ne parle pas. Cette small-town America trop éloignée des côtes pour être assise sur les chaises de L.A. la décontractée ou de New York l’intello branchée. Cette Amérique-là occupe le vaste centre, des milliers de kilomètres carrés de lisières, triste plaine du milieu qui entend parler de crise depuis cinq ans alors qu'elle y est à l'état naturel depuis toujours «En surface, c’est une mer d’huile, il ne se passe rien, explique-t-il. Et sous la ligne de flottaison, tout n’est que cruauté, violence et catastrophes.». Cependant croire que l’on a une emprise sur la violence d’une société parce que l’on peut tuer celui qui a tué s’assimile alors à croire que l’on maîtrise la nature parce que l’on sait l’ordonner au sein d’une surface circonscrite. Des illusions de contrôle qui ne servent qu’à s’aveugler plus profondément. Into the Abyss est finalement bien autre chose qu’un énième film contre la peine de mort. Il ne s’agit pas ici de faire des criminels des victimes, de minimiser la violence de leurs crimes ou de mettre en doute la validité du système judiciaire américain. L’étrange mécanique de Herzog opère à la fois à un niveau plus pragmatique – l’exécution est une pratique foncièrement stérile – et à un niveau plus existentiel, érigeant le meurtre étatique en summum de l’absurde.

Une question se pose alors: Le meurtrier est il vraiment fautif de son propre meurtre ? N’a t il pas eu de mauvaise raisons d’agir de la sorte ? A t il seulement eu conscience des conséquences de ses actes ? A t il agit d’une si futile manière (tuer pour une voiture) par simple envie matérielle? Cela ne provient il pas d’un mal plus profond ? N’est ce pas la symbolique qu’incarnait cette voiture qui en était le réel motif, une envie de considération, de considération sociétale dont les caractéristiques mêmes sont projetées, inconsciemment dans les objets détenus par ceux qui les possèdent, par ceux ou celles qui en sont dépourvues ? Parce qu’on n’a eu la chance de naître au bon endroit dans la bonne famille avec les bonnes composentes et les bons moyens de réussir ? Comment se fait il qu’au final, ce soit dans la matérialité des objets que de telles valeurs soient véhiculées ? N’est ce pas notre société et le capitalisme qu’elle héberge et cautionne le véritable responsable du passage à l’acte ?

Ce n’est pas la faute du meurtrier, non, mais de la société, de la société qui fabrique ses propres meurtriers, véritables objets de la société et du capitalisme. La société, mais qui en sont ces acteurs ? Nous, le quidam, tout un chacun ? Serions nous alors tous responsables, de tous les meurtres qui sont commis en son sein ? La société responsable de son propre mal, se retournant contre elle même, telle une maladie auto immune, qui la gangrène, une putréfaction de l’intérieur. Je suis donc responsable et c’est un vide abyssale. Into the abyss, dans les abysses de la société, au sein même des intraveineuses irriguant la tumeur qui l’affaiblit, l’inextricable petit amas de cellules dont la croissance ne peut être contrôlée, proliférant sans rien ni aucun moyen qui ne puisse en venir à bout : étant de fait, conséquence ultime à l’existence même d’une société en bonne santé : une poignée doit être sacrifiée pour la bonne santé de la majorité. On ferme les yeux, ce serait trop dure à porter, le poids d’une telle responsabilité sur sa conscience, bonne situation acquis par le sacrifice d’une minorité. N’y a t il vraiment aucun moyen d’exister sainement sans mettre une partie de côté ? A ne plus rien comprendre, face à cette impuissance, comme un mal inhérent à la vie en société. Quel gâchis ! Quelle injustice ! Encore faudrait il qu’on le mérite vraiment ! C’est à ça que la politique devrait réfléchir, comme soigner un mal si profondément encré dans la société, qu’elle porte en elle depuis des millénaires, des générations entières d’hommes et de femmes, un poids qui finira par la ronger toute entière, plus seulement au cas par cas ou par épisodes belliqueux mais dans sa globalité, par l’effondrer.

Reste à chacun de se demander : Et comment vas tu vivre ton tiret du milieu ?

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